COURS D´ESPAGNOL
Manuel G. Sesma
Saumur, décembre 1944[1]
Publicado: "L´Espagne Républicaine)
Nota bene. Les remarques faites sur le caractère
français au cours de cette nouvelle n´ont nullement la prétention de constituer
une véritable étude de psychologie du peuple français. Il ne s´agit qu´un
aimable passe-temps. L´auteur.
“Alors
croyez-vous, Monsieur, que les différences linguistiques entre l´espagnol et le
français expliquent les différences de tempérament de nos deux peuples et
s´expliquent à leur tour par celles-ci...?”
La question m´était posée par une jeune
fille. Elle s´appelait ... Bon, nous l´appellerons Jacqueline. J´avais fait sa
connaissance à la “plage” de Saumoussay. Elle y venait comme moi, depuis
quelques jours, passer les dernières heures du soir. C´était pendant l´été
1944. Jacqueline n´était pas du pays, mais elle y passait ses vacances. Elle
était coquette et intelligente. Je la rejoignais après mon travail, sans
rendez-vous préalable. Il n´en était pas besoin. Un soir, elle me dit qu´elle
aimerait apprendre l´espagnol. Je compris. Elle voulait nouer un flirt discret.
Elle s´ennuyait dans la contrée. Je lui offris sur le champ mes services de
professeur... en chômage professionnel. (A ce moment, je travaillais comme
manoeuvre à la Perriere.) Bien entendu, sans aucun intérêt... matériel. Et je
commençai à lui faire des cours et la cour... C´est ce qu´elle cherchait. Je me
dis philosophiquement que tous les chemins sont bons pour parvenir au coeur –
ou du moins, aux lèvres – d´une belle qui s´ennuie et qui vous plaît...
“Mais oui,
Mademoiselle – lui disais-je ce soir. Je suis convaincu que rien ne serait plus
facile que de dresser un tableau de psychologie différencielle
hispano-française, en invertoriant les différences de nos deux langues.
-
Allons! Allons! Je pense que vous ne serez pas capable de
déduire nos différences de caractère du fait que, pour saluer quelqu´un, nous
disons “Bonjour” et que vous dites “Buenos días...”
-
Que
pariez-vous, Mademoiselle...?
-
Moi?
Rien du tout.
-
Alors ce n´est pas la peine de vous en faire la
démonstration.
-
Pourquoi...? Cela pique ma curiosité.
-
Parce qu´elle est trop intéressante, pour la faire sans
aucun intérêt...
-
Zut! Parions, si vous voulez, le roman que j´ai dans mon
sac.
-
Voyons-le
au préalable.
-
Tenez: “La
Pharisienne” par François Mauriac.
-
Il n´est pas mal, Monsieur?
-
Oui, Mademoiselle. Ce que vous ignorez assurément, c´est
qu´en Espagne il y a aussi un roman analogue, portant exactement le même titre.
-
Postérieur
à celui-ci...?
-
Non, antérieur, puisqu´il date de 1863.
-
C´est
curieux.
-
Le plus curieux est que son auteur est également un
célèbre romancier catholique: Fernan Caballero. Une femme.
-
Mais Fernan Caballero me paraît un nom d´homme.
-
En effet, Mademoiselle. Mais il s´agit d´un pseudonyme.
La romancière s´appelait Cécile Böhl de
Faber.
-
Et bien, acceptez-vous le pari...?
-
Vous savez, je préférerais plutôt une autre chose...
-
Alors pourquoi cette hésitation sans fondement...? Vous ne risquez rien.
-
Bon, bon. Racontez-moi cette histoire, s´il vous plaît.
-
Mais vous engagez-vous: oui ou non...? Autrement, je ne satisfais
pas à votre curiosité.
-
Eh bien... et bien..., soit.
-
Parfaitement,
Mademoiselle.
Prenez note, pour commencer, de tous les
détails que je remarque dans le mot “Bonjour”: a) deux mots: “bon” – “jour”,
qui ont perdu leur individualité morpohologique pour devenir un seul terme:
“bonjour”, b) deux voyelles: o, u, qui ont perdu leur personnalité phonétique,
pour en acquérir ensemble une troisième différence: ou; c) le son de j, qui est
en français une consonne palatale chuintante moyenne, tandis qu´il est en
espagnol une gutturale très aspirée; d) enfin, l´accent tonique porté sur la
dernière syllabe non muette, comme dans tous les mots français, tandis qu´en
espagnol on le porte souvent sur d´autres syllabes. Par exemple, dans “buenos
días”, on le met sur les avant-dernières syllabes.
-
Et quelles conséquences tirez-vous de toutes ces
remarques...?
-
Vous le verrez tout à l´heure. Permettez-moi encore
d´ajouter quelques observations.
En espagnol,
toutes les lettres conservent toujours leurs personnalité phonétique, sauf l´u muet des syllabes que, qui, gue, gui
(comme en français). Dans votre langue, non. Tout d´abord, le cas des voyelles
qui perdent leur son primitif est aussi courant que celui des voyelles qui le
gardent. Sinon, examinez votre répertoire de voyelles composées de plus d´une
lettre – environ une douzaine- ¡de voyelles nasalisées et de voyelles muettes!
Quant aux consonnes, vous en avez environ une dizaine qui perdent dans certains
cas leur valeur phonétique primitive: le t
dans action, le d dans grand
homme, le f dans neuf ans, etc...
Naturellement en espagnol il n´y a pas de lettres ni de syllabes muettes,
tandis qu´en français vous en avez en quantité respectable.
-
Mais, mon cher Monsieur, où allez-vous avec cette
histoire bizarre de lettres et de syllabes muettes, de mots qui perdent leur
individualité morpohologique, de voyelles qui perdent leur personnalité
phonétique, etc., etc.?
-
Et bien, je vais conclure que la phonétique et la
Morphologie de la langue française réflètent justement l´idiosyncrasie du
peuple français. En effet, le Français pris individuellement – je parle du
Français moyen, bien entendu – a une personnalité effacée, comme les lettres
d´une voyelle composée, et parfois, il n´en a point, comme les lettres et les
syllabes muettes de sa langue.
-
Ah! non, Monsieur. Vous nous insultez.
-
Pas du tout, Mademoiselle. Un grand psychologue et
écrivain de langue française, Frédéric Amiel, est encore allé plus loin,
puisqu´il affirme dans son célèbre “Journal”, que les français, pris individuellement,
sont des Zéros [2].
-
Je proteste contre cette appréciation. Et les
françaises...?, sommes-nous aussi des zéros...?
-
Oh! non, Mademoiselle. Les femmes ne sont jamais des
zéros, mais des chiffres significatifs. Souvent, hélas!, tros significatifs...
-
Bon, bon, laissez de côté les plaisanteries.
-
En tout cas, l´opinion fâcheuse d´Amiel a une belle
contrepartie. C´est que les français les plus dépourvus de personnalité
possèdent un sentiment très dévéloppé de la sociabilité et qu´ils s´unissent
spontanément comme les éléments phonétiques de leur langue, pour former des
ensembles harmonieux et bien caractérisés.
-
C´est
vrai.
-
Mais oui, Mademoiselle. Et cela explique que la France
avec des individualités faibles, soit devenue un peuple puissant, et avec des
zéros, une quantité respectable au point de vue international. C´est parce que
ces zéros ont su se ranger opportunément derrière un chiffre significatif qui
les a valorisés: Charlemagne, Louis XIV, La Convention, Bonaparte, Charles de
Gaulle...
-
Et les Espagnols, n´ont-ils pas le sentiment de la
sociabilité aussi dévéloppé que les Français...?
-
Helas! Non, Mademoiselle. Nous souffrons d´hyperesthésie
individuelle, nous les Espagnols. Nous gardons tous farouchement notre
personnalité et aucun ne consent à faire des concessions. Nous sommes comme les
sons de notre langue, aucun ne veut s´effacer ni se sacrifier. Le résultat le
voici: notre peuple composé d´individualités fortes qui s´imposèrent jadis á
l´univers entier, est devenu une puissance faible. Nous avons employé nos
énergies à nous entre-tuer et à nous ruiner.
-
C´est
dommage.
-
En effet, et
c´est pour cela que nous sommes exilés à présent en si grand nombre. Si au
moins notre séjour en France servait à nous inculquer votre sens de la
sociabilité, de la tolérance et du respect mutuel, notre exil ne serait pas
tout à fait infructueux. Il est vrai que c´est surtout aux réactionnaires de
mon pays qu´il faudrait inculquer ces vertus civiques élémentaires. Ils ont
encore la mentalité de l´homme des cavernes. Mais enfin ne nous écartons pas du
sujet de notre pari.
-
C´est
ça.
-
Je vous ai déjà fait remarquer dans le mot “bonjour”, à
propos du J, que celui-ci est en
français une consonne palatale chuintante moyenne, tandis qu´il est en espagnol
une gutturale très aspirée. Cela veut dire que le j français a un son très adouci par comparaison au j espagnol. Eh bien, ce phénomène se
répète dans toutes les autres consonnes qui donnent à l´espagnol son cachet
d´énergie et de virilité: le c et le g devant e, i; le ch, ll, r, s
et z. Tous ont en français un son
plus mou.
Pour adoucir
encore votre phonétique, vous employez d´autre part, la nasalisation,
l´élision, la liaison, l´accentuation tonique uniforme, la cédille,
l´apostrophe et je ne sais combien de “trucs” que nous ne connaissons pas en
espagnol.
-
Cela veut dire, en fin de compte, que notre phonétique
est plus riche que la vôtre.
-
Plus riche...? Il serait peut-être plus exact de dire
plus nuancée. Il suffit de rappeler que vous avez six voyelles-lettres et plus
d´une vingtaine de voyelles-sons! C´est
un record.
Mais cela
veut dire aussi que le français est une langue moins virile que l´espagnol,
comme votre tempérament est moins énergique que le nôtre.
-
Moins énergique ou moins violent...?
-
Comme vous voudrez. En tout cas, il est indiscutable que
le tempérament français est beaucoup plus doux – surtout dans le doux Anjou –
que le tempérament espagnol, et justement la douceur de votre phonétique n´est
qu´une conséquence et un reflet de ce tempérament.
-
Corollaire: l´espagnol est une langue masculine; le
français, féminine ou à peu près... Voilà ce que vous voulez insinuer. N´est-ce
pas, Monsieur...?
-
Oh! pas cela précisement. Remarquez cependant qu´un grand
érudit espagnol qui connaissait très bien le français, le P. Feijoo, parlait,
déjà au XVIII siècle, de “la mollesse
efféminée” du français par opposition à “la vaillance virile” de l´espagnol.
“La langue française - écrivait-il – glisse; l´espagnole frappe[3].” De toute façon il serait
inexact de dire que le français est une langue féminine, puisque les langues
n´ont pas de sexe.
-
Ah!
-
On peut bien cependant affirmer que le français a un tas
de caractères féminins.
-
Tiens! Où se trouvent-ils...?
-
Partout, Mademoiselle. Non seulement dans sa phonétique
molle et nasillarde, mais dans sa morphologie, sa syntaxe et son orthographe.
-
Voyons,
voyons.
-
Apprenez tout d´abord – si vous ne le savez pas – que
votre langue est plus artificielle qu´une femme coquette.
-
Et pourquoi pas plus qu´un beau petit-maître...?
-
Oh! allez-vous comparer, Mademoiselle, l´artifice d´un
petit-maître avec celui d´une coquette...? Les trois quarts des attraits de
celles-ci sont un trompe-l´oeil. Ôtez à la coquette la plus belle, son fard, sa
coiffure et sa toilette et vous verrez ce qui reste de sa beauté.
-
A peu près ce qui restera de la prestance du don Juan le
plus présomptueux, si vous le mettez en caleçon et si vous l´obligez à garder
la barbe une semaine...
Mais
dites-moi, Monsieur: pourquoi la langue française est-elle artificielle...?
-
Parce que ce n´est pas le peuple français qui l´a forgée
– je parle du français moderne -, mais les littérateurs et les grammairiens
hellénisants et latinisants du XVIème siècle, les courtisans italianisants de
Cathérine de Médicis et les hispanisants de Louis XIII, les précieuses de l´Hôtel
de Rambouillet, Ronsard et Mlle. Scudery, Malherbe, Vaugelas, etc., etc. Je
lisais il y a quelques jours dans un auteur de chez nous que le français
moderne ressemblait au visage de ces comédiennes chez qui l´abus du fard a pour
toujours fané la fraîcheur de la jeunesse.
-
Peut-être. En tout cas, l´artifice de votre langue ne se
discute plus. C´est un fait historique.
-
De toute façon, vous ne nierez pas sa beauté.
-
En effet, comme votre langue n´est pas riche, vos
littérateurs ont essayé de la faire belle. (Et ils y ont réussi.) C´est-à-dire,
ils ont fait comme ces parents qui veulent marier à tout prix leur fille et qui
n´ayant pas de dot à offrir aux prétendants, essayent de les attirer par de
brillantes apparences.
-
Beauté vaut mieux que richesse.
-
Beauté naturelle, oui; mais non beauté artificielle.
Celle-ci s´acquiert à prix d´argent.
Voilà encore
un autre trait féminin du français: sa beauté de cabinet de toilette.
-
Est-ce
tout...?
-
Ah! non, j´oubliais encore le principal: son humeur
capricieuse. Votre syntaxe, votre prosodie et votre orthographe sont plus
arbitraires et bizarres qu´une femme hystérique.
-
Comment! Monsieur. Mais le français est la langue logique
par excellence. Tout le monde y convient.
-
Croyez-vous? Pas moi, Mademoiselle.
Voyons.
Dites-mois par exemple pourquoi le t
sonne t dans digestion et il sonne c dans action; pourquoi photo s´écrit
avec ph et fou avec f; pourquoi doux fait le féminin douce
et faux, fausse; pourquoi bal fait au
pluriel bals et bail, baux; pourquoi
le a est muet dans août et aoûteron,
et par contre il se prononce dans aoûté, aoûter, aoûtage et aoûtement, qui
appartiennent à la même famille; pourquoi vous dites la Meurthe et Moselle, et
le Maine et Loire, les quatre rivières étant également du genre féminin;
pourquoi rien signifie nulle chose, étant donné qu´il dérive du latin res qui signifie quelque chose; pourquoi
vous dites: “je vous le donne”,
mettant le complément indirect devant le directe, alors que vous faites tout le
contraire en disant: “Je le lui donne”;
pourquoi vous écrivez: “c´est nous, c´est
vous”, avec le verbe au singulier, et “ce
sont eux, ce sont elles”, puisque “nous” et “vous” sont aussi pluriels
qu´”eux” et “elles”; etc., etc.
Le français
une langue logique...? Oui, aussi logique que les femmes.
-
Et l´espagnol n´a-t-il aucun caractère féminin...?
-
Non, Mademoiselle. Il est mâle et masculin de tous les
côtés. Tenez; notre interjection la plus courante est: Hombre! (homme), tandis qu´en français vous employez souvent
l´exclamation: Dame! (femme). C´est
un détail. Encore un autre plus significatif? En espagnol le “pantalon” (la
culotte) est masculin et l´”enagua” (le jupon) féminin, tandis qu´en français
c´est le contraire. Naturellement on s´explique après parfaitement qu´en France
tant de femmes portent la culotte et plus d´un homme, le jupon...
-
Et! eh! mon ami, est-ce de la philologie ou de la
plaisanterie...?
-
De la philologie appliquée, Mademoiselle.
-
Appliquée
à quoi...?
-
Diable! À la psychologie différentielle.
-
Comment! est-ce la suite de votre démonstration...?
-
Naturellement.
-
Et quelles conséquences tirez-vous de cette série de
remarques amusantes...?
-
Les voici: le peuple français est un peu capricieux,
comme l´orthographe de son idiome; un peu bellâtre, comme sa syntaxe; un peu
artificiel, comme son lexique, et un peu féminoïde, comme toute sa langue.
-
Formidable! Savez-vous que je ne soupçonnais même pas que
vous seriez capable de tirer tant de choses curieuses de la simple analyse du
mot “bonjour”...?
-
Pourtant il me tarde de tirer encore la principale.
-
Laquelle?
-
Et bien, que j´ai déjà gagné notre pari et que j´ai le
droit de vous embrasser... Alors...
-
Mais, y tenez-vous encore...?
-
Naturellement.
-
Oh! quel homme! Et pourquoi ne pas continuer vos
élucubrations philologico-psychologiques...? Elles m´intéressent franchement.
-
Vous intéressent-elles ou plutôt vous amusent-elles?
-
Les deux choses à la fois.
-
Et bien,
allons-y.
A présent je
vais vous parler de quelques trouvailles très bizarres que j´ai faites dans
votre idiome.
-
Je vous
écoute.
-
J´ai aperçu dans votre langue les taches de vin de vos
buveurs.
-
Oh! là -
là!
-
Comment appelez-vous la gratification que vous donnez à
un serviteur quelconque?
-
Pourboire.
-
Et bien, ce mot n´a pu être inventé et mis en circulation
que par des dévots de la dive bouteille. Notez bien, Mademoiselle, que
pourboire est un nom composé de pour – boire, et en conséquence lorsque vous en
donnez un à quelqu´un, vous lui dites implicitement:
“Tenez Mr,
pour que vous brûliez votre foie avec quelques verres d´alcool...”
Comme si une
gratification ne pouvait pas avoir une autre application plus utile et plus
sage...
-
C´est
bien.
-
J´ai aussi découvert dans votre idiome les taches de
graisse de vos gros mangeurs.
-
Vraiment?
-
Voyons: que dites-vous à des amis que vous voyez
attablés...?
-
“Bon
appétit, Messieurs, Mesdames.”
-
C´est une formule de politesse pantagruélique, puisque
traduite littéralement, elle veut dire ceci:
-
“Messieurs, Mesdames: dévorez comme des cochons, jusqu´à
ce que vous soyez bien rassassiés...”
-
Mais que dites vous en espagnol...?
-
“Buen provecho, señores” (bon profit, Messieurs);
c´est-à-dire, “Messieurs, Mesdames: que ce que vous mangez vous fasse du bien”;
ce qui est tout à fait différent. Votre formule convient à celui qui vit pour
manger; la nôtre à celui qui mange pour vivre.
-
Croyez-vous que nous vivons pour manger, nous les
français...?
-
Oh! non; mais, en général, vous mangez et buvez plus que
nous.
-
C´est normal. La France est plus froide que l´Espagne.
-
En
effet.
J´ai encore
identifié dans votre langue la trace de vos avares.
-
Où?
-
Dans les expresssions “toucher de l´argent” et “obliger
quelqu´un”. Toucher de l´argent est entrer en contact, parler, caresser
l´argent de la main. C´est le plaisir d´Harpagon et du Père Grandet. Celui qui
inventa cette expression était un avare. Et bien sûr, celui qui donna au verbe obliger le sens figuré de rendre service, n´avait pas non plus la
moindre idée du désintéressement. Comme Harpagon, il ne donnait même pas le
bonjour, il le prêtait et l´obligeait...
-
Épatant.
-
J´ai également identifié les empreintes digitales de vos
escrocs.
-
Eh quoi! Les voleurs sont-ils aussi intervenus en
l´élaboration de notre idiome...?
-
Sans doute. Qui a pu autrement inventer ces beaux
euphémismes de “voler” et de “subtiliser” pour désigner leur activité? Voler signifie étymologiquement s´élever au-dessus du niveau des hommes,
se mouvoir et maintenir en l´air au moyen d´ailes; et subtiliser, penser avec finesse.
Eh bien,
n´est-ce pas le comble du raffinement euphémique que de traiter Messieurs les
escrocs en archanges et en philosophes...?
-
Mais vous subtilisez encore plus que les philosophes et
que les escrocs...?
-
Croyez-vous,
Mademoiselle...?
Enfin,
j´ai découvert dans votre langue le personnage le plus important de la France
de tous les temps.
-
Il
s´appelle...
-
Monsieur
On.
-
Monsieur
On...?
-
Mais oui, Mademoiselle, Monsieur On est le dictateur suprême de la pensée et de la vie
française de toutes les époques. C´est seulement l´opinion, les goûts et les
caprices de Monsieur On qui compte
dans votre pays; et d´après ce qu´On pense, On dit, On lit, On s´habille, On
mange, On boit, On fume, On danse..., tous les Français et Françaises pensent,
disent, lisent, s´habillent, mangent, boivent, fument et dansent...
-
Très ingénieux, Monsieur. Mais toutes ces boutades
philologiques se rapportent-elles aussi à l´idiosyncrasie du peuple
français...?
-
Mais oui, Mademoiselle. Et voici mes conclusions: Le
Français est bon buveur, bon mangeur, assez intéressé, trop indulgent avec les
voleurs – surtout avec les voleurs de millions – et trop esclave de l´opinion
des autres.
-
Il me semble, Monsieur que vous ne connaissez pas un
personnage français aussi populaire que Monsieur On. Il s´agit de Monsieur
Je-m´en-foute.
-
Mais si, Mademoiselle. Je le connais depuis longtemps.
Monsieur Je-m´en-foute veut être la “contrefigure” de Monsieur On: la réaction
de l´individu français contre la tyrannie de la collectivité; une sorte de
Monsieur Anti-On. Mais en réalité Monsieur Je-m´en-foute, n´est que le laquais
de Monsieur On: un laquais un peu insolent qui se permet de faire des grimaces
à son maître, lorsque celui-ci tourne le dos. Vous vous fichez souvent des gens
qui ne vous connaissent pas; mais vous n´osez pas, bien souvent, braver
l´opinion de votre concierge, de votre coiffeuse, ou de votre couturière. Voilà la vérité.
-
Je crois que vous exagérez.
-
Et n´exagérez-vous aussi, en retardant la réalisation de
votre pari...?
-
Comment!
Insistez-vous encore...?
-
Et
pourquoi pas, Mademoiselle...?
-
Vous vous moquez de moi.
-
Mais, me moquer de vous...? Pas du tout, Mademoiselle. Je
ne me moque jamais des belles femme: je les aime.
-
Toutes...?
-
Toutes; mais... comme vous aimez en France.
-
Est-ce que vous aimez autrement en Espagne...?
-
Mais
oui, Mademoiselle.
-
Sans doute, est-ce une autre de vos trouvailles
philosophiques.
-
Justement.
-
Oh-là-là! Voyons, voyons cette nouvelle découverte.
-
Mais ne voulez-vous que nous changions de scène,
Mademoiselle...? J´ai envie de marcher un peu et, en outre, une question aussi
importante que l´amour mérite bien d´être traitée dans un plus beau décor.
En ce moment,
le soleil atteignait presque l´horizon. Ses rayons filtrés à travers le
feuillage, étaient comme des baisers d´adieu lancés au vent par une femme
chérie qui s´en va.
Nous
quittâmes l´endroit où nous étions assis. C´était à côté du petit moulin de
Saumoussay. Nous repassâmes le petit pont sur le Thouet et nous nous mîmes à
flaner par la rive droite. Tout à coup, nous répérâmes une barque attachée au
tronc d´un peuplier.
- Voulez-vous
que nous montions sur cette barque..?, proposai-je à Jacqueline.
-
Volontiers.
Je sautai le
premier. Puis je donnai la main à la jeune fille pour l´aider à y monter. Nous
prîmes possession de la barque et nous nous assîmes l´un en face de l´autre,
pour garder l´équilibre. Jacqueline était en ce moment fascinante. Les rayons
du soleil pâlissant illuminaient son gracieux minois, comme des cierges le
visage d´une Vierge. Parfois elle penchait vers moi son buste et la pointe de
son beau décolleté, en laissant entrevoir la courbe de ses seins, s´enfonçait
dans mes nerfs comme le bout d´une épingle d´acier. Dans les eaux du Thouet
parsemées de nénuphars fleurissants, se reflétait sa jolie silhouette comme
celle d´une jeune déesse.
-
Alors, voulez-vous que je vous parle à présent
d´amour...?
-
Oh! oui;
avec plaisir.
-
Mais ignorez-vous que parler d´amour à une belle fille
vaut autant que lui faire la cour...?
-
Ta, ta! Mais vous allez me parler d´amour, au point de
vue philosophique, n´est-ce pas...?
-
C´est
entendu...
-
Alors quand vous voudrez, Monsieur le Professeur.
-
Voici ma première trouvaille, Mademoiselle. Tandis qu´en
espagnol les mots “amour”, “aimer” se rapportent exclusivement au sentiment
supérieur d´affection, portée sur les personnes, vous désignez par le verbe
aimer non seulement l´affection, mais l´attachement, le goût, le plaisir, le simple
penchant pour n´importe qui et n´importe quoi (personne, animal ou chose).
C´est ainsi qu´une femme française aime également son chapeau, son toutou et
son amant...
-
Eh, eh! Monsieur: ne jouez pas sur l´équivoque.
-
Oh! pas
du tout.
-
En tout cas, cela veut dire que nous aimons toujours
beaucoup plus que vous.
-
Oui, en largeur, Mademoiselle, mais non pas en
profondeur.
-
Croyez-vous?
-
J´en suis convaincu. Et je vais vous en faire la
démonstration.
-
Philologique
aussi...?
-
Exactement.
Remarquez
tout d´abord que la plupart des mots français servant à désigner le sentiment
amoureux sont féminins. Tenez: passion, affection, jalousie, amourette,
liaison, idylle, idole, même amour au pluriel et parfois au singulier.
-
N´est-ce pas pareil en espagnol?
-
Pas du tout. En espagnol la plupart sont masculins: amor,
cariño, afecto, enamoramiento, celos, idolo, idilio, etc.
-
Mais en français il y en a aussi de masculins:
attachement, engouement, béguin...
-
En effet, nous en parlerons après.
-
Et quelle conséquence tirez-vous de cette particularité...?
-
Qu´en France l´amour est surtout un sentiment féminin et
pour cela un peu trop large et trop peu profond.
-
Comment!
-
Mais oui, Mademoiselle. Quoique cela vous semble un
paradoxe, l´amour est avant tout un sentiment viril. La démonstration de cette
thèse nous menerait un peu loin et je vous en fais grâce. C´est pourquoi
justement l´homme conjugue le premier verbe aimer et il le conjugue à la
première personne, tandis que la femme le conjugue après et à la deuxième
personne. Nietzsche a écrit avec profondeur que le bonheur de l´homme consiste
à dire: “J´aime”, et celui de la femme à dire: “Tu m´aimes”.
Eh bien,
cette mécanique amoureuse qui est propre aux sociétés où l´influence de l´homme
prime celle de la femme, c´est-à-dire, à la plupart des sociétés, ne vaut-elle
pas également pour les peuples où l´influence féminine pèse sur la vie
collective autant ou davantage que l´influence masculine. C´est le cas de la
France. Ici la femme commande en amour, comme dans la plupart des choses. Ici
les hommes n´ont pas d´amantes, comme
en Espagne, mais de maîtresses. Maîtresse veut dire étymologiquement femme qui
commande. Voilà encore une autre trouvaille philologique intéressante.
Nous n´avons
pas en espagnol un mot équivalent. Nous le traduisons “querida” (chérie), ce qui n´est pas du tout pareil.
-
Formidable! Savez-vous que je commence à prendre au
sérieux votre philologie...?
-
Ecoutez encore. Vous m´avez objecté que vous avez en
français, vous aussi, des noms masculins servant à désigner le sentiment amoureux.
En effet, Mademoiselle. Vous avez “attachement”,
d´attacher, lier, et vous attachez les hommes à vos jupes et à vos caprices
comme vos loulous. Vous avez “engouement”,
d´engouer, obstruer le gosier, et devant vos volontés les hommes ont le gosier
obstrué et perdent automatiquement la voix. Vous avez aussi “béguin”, c´est-à-dire, un bonnet de
petit enfant avec lequel vous endormez vos galants...
-
Eh, eh! Monsieur, arrêtez, arrêtez...! Vous commancez à dérailler.
Et en
Espagne, les femmes ne vous attachent pas, ne vous engouent pas, ne vous
coiffent pas la tête de... béguins...?
-
Non, Mademoiselle. D´ordinaire, les espagnoles nous
aiment ou nous craignent. Ou bien elles nous aiment et nous craignent à la
fois.
-
Ta, ta! Comme si vous étiez le bon Dieu! Que vous êtes prétentieux!
-
Que voulez-vous, Mademoiselle? La femme espagnole n´est
pas aussi émancipée que la française. Elle n´a ni votre liberté, ni votre
indépendance. En France, la femme est l´égale de l´homme: en Espagne, non.
-
Sans doute par votre faute. C´est vous qui maintenez les
femmes sur ce plan d´infériorité.
-
Pas nous précisement. C´est le milieu; c´est l´éducation;
ce sont les préjugés; c´est l´influence catholique et l´atavisme musulman.
-
Et quelle femme préférez-vous: l´espagnole ou la
française...?
-
J´ai toujours préféré la femme que j´aime...
-
Jolie façon d´esquiver la question!
-
Pas plus jolie que votre façon d´esquiver la réalité de
notre pari...
-
Mais, y tenez-vous toujours...?
-
Bien sûr, Mademoiselle. Serez-vous capable de ne pas
faire honneur à votre parole.
-
Eh bien, soit. Mais vous tiendrez aussi la vôtre.
-
Mademoiselle, je suis un galant homme...
Nous nous
levâmes. Le soleil s´était déjà caché derrière l´horizon. Le crépuscule
dépliait sa pompe rayonnante comme un éventail d´or. Jacqueline, debout sur un
angle de la barque, souriait. Je m´approchai d´elle et l´embrassai. Le
balancement remua légèrement les eaux du Thouet. Les nénuphars frissonnèrent
voluptueusement comme des coeurs caressés par une main d´amante...
Publicado en Francia : « L´Espagne
Républicaine ».
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