L´Espagne Républicaine

En 1946, Manuel García Sesma publicó una serie de artículo en "L´Espagne Républicaine", un semanario político y literario editado por el periodista Ricardo Gasset, primero en Toulouse y en París, de junio de 1945 a enero de 1949.


L´Espagne Républicaine, Décembre 1946


 








L´Espagne Républicaine, 15 mars 1947


L´Espagne Républicaine, 22 mars 1947





La confidence de la capitaine
Nouvelle inédite par Manuel G. Sesma
Illutration de Geo Marc

A Madame et Monsieur Paul Gonda

Il ne s´agit pas de la femme d´un capitaine, mais d´une capitaine authentique. Elle était Madrilène, du quartier populaire d´Avapies et s´appelait Encarnita L.
L´un des traits caractéristiques de la guerre civile espagnole de 1936-39 fut la participation de la femme aux combats contre les insurgés fascistes et les envahisseurs étrangers venus à leur secours. Ce trait s´explique tout d´abord par le tempérament passionné de la race; puis par le fait que la deuxième République espagnole était en train d´émanciper les deux parias séculaires de la société péninsulaire: l´ouvrier et la femme. Aussi quand ses asservisseurs traditionnels se rebellèrent contre la République, les ouvriers et les femmes prirent spontanément les armes.
Une courageuse jeune fille, Aida Lafuente, avait déjà donné l´exemple, lors de l´ínsurrection populaire d´octobre 1934. Un gouvernement de prévaricateurs et de jésuites –la coalition radical cédiste- essayait déjà à cette époque de saper le nouveau régime. Mais le peuple alerté se révolta. Pour étouffer la protestation, la réaction gouvernamentale qui se méfiait –et pour cause- des soldats espagnols, envoya contre les mineurs des Asturies –qui étaient les protestataires les plus énergiques – des troupes ramenées d´Afrique, composées de Marocains et d´apatrides de la Légion étrangère. Il y eut à ce sujet des combats acharnés et les mineurs asturiens se défendirent avec leur courage proverbial. Et bien, l´un des épisodes les plus émouvants de cette lutte inégale fut le sacrifice héroïque de la fille d´un peintre, Aïda Lafuente. Pour protéger la retraite de ses camarades –et malgré les conjurations de ceux-ci, elle eut la bravoure de continuer elle seule à soutenir le combat, tirant sans arrêt avec une mitrailleuse contre les hordes maures lancées à l´assaut de la gare d´Oviedo. Naturellement, la lutte ne fut pas longue et quand elle eut épuisé ses munitions et que les Marocains, bravant de rage et de luxure, allaient la capturer, elle se suicida avec un revolver, devant leurs yeux.
Ce geste magnifique, devenu immédiatemt légendaire, était tout recent en juillet 1936. Donc, quand l´insurrection franquiste éclata, le souvenir glorieux d´Aida Lafuente enflamma aussitôt l´imagination et alluma le courage de force femmes antifascistes de la péninsule. On vit par la suite, sur tous les fronts de bataille, des femmes résolues, des miliciennes mener vaillamment le combat aux côtés des hommes, et c´est justement à cette occasion que je connus la capitaine Encarnita.
Le siège de Madrid commençait à ce moment. Les fascistes piétinaient dans ses faubourgs. C´étaient les derniers jours de novembre 1936.  À cette époque, je combattais comme volontaire dans une batterie de canons Schneider de 750 mm. campagne, relevant du commandement de la XIe brigade internationale. Nous avions placé nos pièces aux environs de la “Plage” de Madrid. Un beau matin, je regardai passer de bonne heure, sur la route voisine, une compagnie d´infanterie. Elle allait prendre position aux bords du Manzanares. A sa tête marchaient un homme et une femme. Celle-ci portait sur son épaule un fusil mitrailleur.
C´était une jeune femme, forte, de taille moyenne, à la chevelure châtain et à la figure assez agréable. Elle était habillée en soldat et marchait tranquillement, simplement, sans aucun souci de parade. On entendait très proche le fracas du combat.
Cette jeune femme était Encarnita. Sa vue m´impressionna. Elle ne tarda pas à s´éloigner avec sa compagnie et je ne la revis plus sur le Front de Madrid.
Pourtant, deux années après, je la rencontrais à nouveau sur le Font de Catalogne.
Ce fut un autre hasard. À ce moment, j´étais affecté au 2º groupe d´obusiers Vickers de 105 mm. compagnie de la R. G. A. Un soir je fus envoyé, comme officier de liaison, auprès du commandemnt de la XIe división. C´était un jour de janvier 1939. Le poste de commandement était installé dans la masure d´un pauvre paysan.
Quant j´y arrivai, il faisait déjà nuit: une nuit ténébreuse et froide. En pénétrant dans la pièce ou était réuni l´état major, j´aperçus dans la pénombre trois militaries. Ils se penchaient sur un plan de campagne étendu sur une table. Ils s´éclairaient avec une lampe à pétrole. En levant la tête pour répondre à mon salut, ils laissèrent voir leurs visages et ma surprise fut extraordinaire. L´un des officiers était Éncarnita et un autre, Jesús S., un de mes anciens élèves de Madrid que l´on m´avait dit mort au combat et qui était à présent commandant d´état-major à la división.
Après les effusions naturelles et le récit inmmédiat de nos aventures respectives, je lui demandais des renseignements sur la capitaine Encarnita. Son cas m´intéressait. Et mon élève satisfit abondamment ma curiosité.
D´après son témoignage, Encarnita avait pris une part brillante aux batailles les plus sanglantes de la guerre: Madrid, Brunete, Belchite, Teruel, l´Ébre, et elle s´était toujours distinguée par son sang-froid et par son courage. A Brunete elle commandait une compagnie de maitrailleuses. Celle-ci ayant été encerclée par l´ennemi la capitaine réussit à se sauver et à sauver ses hommes frayant à tous un passage avec le feu de sa mitrailleuse.
C´était une authentique heroine de notre guerre.
Mais à present elle n´avait plus l´élan combattif d´autrefois. À cause de la vie rude de campagne, elle avait contracté une maladie de poitrine et ne prenait plus une part directe aux combats. Elle était à ce moment la gouvernante du poste de commandement de la division.
Je me fis présenter à elle spécialement par mon ancien élève et commençais à la traiter avec empressement. Deux jous après, le chef de la división décida de changer de poste. Nous nous trouvions aux alentours de Carme. On alla s´installer dans une usine à papier, située à la croisée de chemins la plus proche. Nous prîmes la capitaine et moi une voiture à nous deux seuls, pour rejoindre le nouveau poste. C´était par une nuit sans lune, mais sereine et étoilée. A l´intérieure de la voiture une petite lampe laissait tomber sur nos têtes une lueur jaunâtre. En entamant la conversation avec la capitaine, je la dérivai bientôt vers sa vie de combattante.
-        -  Cette existence, Monsieur, répondit-elle. Je m´y suis habituée, bien entendu –pour mon malheur- mais je ne l´aime point.
-           -    ¿Pourquoi?
-            - Parce que la guerre n´est pas faite pour les femmes. Nous y perdons toujours et tout: le temps, les sentiments, la santé, la beauté, et même le sexe…
-         Je la regardai stupéfié. Je ne m´attendais pas à cette réponse. Un peu déconcerté, je lui répliquai:
-          -     Le sexe aussi? Vous exagérez, madame.
-             - Oui, Monsieur. Ou tout au moins la féminité. Je vous parle par expérience. Habituée à m´habiller toujours en soldat, entouré uniquement de soldats et menant incessamment la vie de soldat, avec sa dureté et sa brutalité, la sensibilité, le sex-appeal et même la coquetterie de mon sexe. C´est affreux, Monsieur. Je ne me retrouve plus une femme, mais une bête féroce et asexuée.”
Elle prononça cette dernière phrase d´une voix sourde, qui traduisait le découragement et le désespoir.
-         - Oh! Pas du tout, madame, protestai-je, saisi d´une émotion profonde. Au contraire, vous êtes à présent une femme doublée d´une héroïne.
-         - D´une héroïne?... fit-elle avec sarcasme. Quelle plaisanterie! Non, monsieur, non. Je ne suis pas une héroïne, mais une pauvre femme qui a gâché pour toujours son existence. Que vais-je devenir, après la guerre?...
Elle se tut. Son silence était dramatique. Je le respectai. Sa belle chevelure projetait sur son visage des ombres sinistres comme celles qui obscurcissaient son âme.
Cette confidence inespérée me troubla. Je contemplai un moment la capitaiene avec une pitié infinie. Cependant, l´accent pathétique qu´elle y avait mis spontanément finit par me rassurer. Parce que cet accent de sincérité poignant était un índice infaillible que, malgré son uniforme et son revolver d´homme de guerre, malgré ses exploits de farouche combattante, la capitaine restait toujours une femme sensible et défaillante. C´est à dire une véritable femme.
Heureusement pour elle!...

Décembre 1946


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