À l´ombre d´un ange. À Mlle. Suzy Valats.

MANUEL GARCÍA SESMA (1902-1991)


A L´OMBRE D´UN ANGE [1]

A Mlle. Suzy Valats 


Avec immense tristesse
Avec immense tendresse


1939-1940
























Vous êtes un beau ciel d´automne clair et rose!
Mais la tristesse en moi monte comme la Mer...

Ch. Baudelaire. Causerie.

Triste, j´ai tant besoin d´un confident qui m´aime,
me parle avec douceur...

H. Moreau, La Voulzie


L´illusion féconde habite dans mon sein,
D´une prison sur moi les murs pèsent en vain,
J´ai les ailes de l´Espérance...

A. Chénier, La Jeune captive




















INDICE



Première Partie.

* Petit nuage, Gurs, 2-XI-1939
* Nubecita, Gurs,
* Solitude, Gurs, 5-XI-1939.
* Foi, Gurs, rs, 7-XI-1939.
* Télépathie, Gurs, 12-XI-1939.
* Froid, Gurs, 16-XI-1939.
* Vision, Gurs, 26-XI-1939.
* Pascalienne, Gurs, 30-XI-1939.
* Cloches, Gurs, 3-XII-1939.
* Sitio, Gurs, 8-XII-1939.
* Sang, Gurs, 13-XII-1939.
* Renoncement, Gurs, 17-XII-1939.

Deuxième partie.

* Colombes.
* Sonatine de Printemps, Saint-Cyprien, 31-IV-1939.
* Rêverie, St-Cyprien, 25-V-1939.
* Identification,Gurs, 28-IX-1939.
* Christmas, Gurs, 21-XII-1939.
* Etrennes, Gurs, 28-XII-1939.
* Epiphanìe, Gurs, 3-I-1940.
* Nerfs, Balloire, 23-II-1940.
* Prière, Balloire, 26-III-1940.
* Oeillets, La Motte-Bourbon, 31-V-1940.
* Mer en furie, Argelès-sur-Mer, 15-VII-1940.
* Bo1ero, Argelès-sur-Mer, 16-VII-1940.
* Madrigal espagnol, Argelès-sur-Mer, 18-VII-1940.
* Métamorphose, Argelès-sur-Mer, 2-VIII-1940.

* Poemas franceses destruidos.

* Souhaits, Argelès-sur-Mer, 28-IX-1940.

























ENVOI


Ce sont de blanches colombes, messagères
de rêves de Bonheur....
Elles sont humbles. Caresse-les, ma chère,
car elles sont mon Coeur.....

Argelès, 31-VII-1940





























PRIMERA PARTE

PETIT NUAGE [2]

A Mlle. Suzy Valatz pour sa
dernière lettre et l´aquarelle de
C. Monet "Voiliers à Argenteuil"

Sur un lac d´émeraude et sous un [3] ciel d´azur;
dans l´argentin bateau des rêves ingenus,
nous ramions de concert, entonnant tous les deux:
toi, ta chanson de joie, et moi, de ma douleur.

Sur le miroir des eaux on voyait nos silhouettes
comme le svelte mât d´un voilier d´aquarelle.

Un nuage soudain [4] le soleil nous cacha,
effaçant celles-là du cristal de l´étang... [5]
Tu grimaças un peu....et me rendis fort triste.
Telle l´ombre pâlie d´une belle amethyste.

Mais le nuage passa.....Vers toi je me penchai [6]
et tes yeux attendris avec douceur baisai....


Gurs, 2-XI-1939



FELICITATION

A Mlle. Suzy Valats pour le
20 anniversaire de sa naissance

Une fille de vingt Avrils...?
Voici

Un lis qui entr´ouvre sa corolle
aux rayons tièdes de l´Aurore...
Un papillon brodé en soie [7]
qui va des roses aux étoiles...
Une séduisante Aphrodite
qui sort des écumes marines...
Un beau rubis éblouissant
sur le coeur brûlant d´un amant....

Mes voeux devant tes vingt ans...?
Voilà.
Que tu sois toujours Suzon,
rubis,
Aphrodite, papillon
et lis.
Qu´Amour comble de bonheur
ton coeur....

Gurs, 18-XI-1939



SOLITUDE

Solitude d´effroi du glacial Océan
et calvaire sanglant
d´exilé....!
Solitude d´effroi du Coeur, de ma Conscience
et ma triste Existence
de damné...!
Solitude de tombe et souffrance d´enfer...!
Enfer...!
Fer...!

Mon Coeur est un désert dont les sables brûlants
croisent tous les chameaux de toutes les Passions.
Il y siffle toujours un simoun infernal,
mais il reste en tout temps, tout seul, comme les morts.

Ma Conscience est le fond d´une mer dont les eaux
croisent tous les vaisseaux de toutes les Pensées.
Ses flots tumultueux torturent fort mon cerveau [8],
mais il demeure seul, comme un phare avancé.

Ma vie est une cime escarpée et isolée,
baisée par le Soleil ou frappée par la Foudre,
Ils traversent ses flancs, les gens et les années,
mais elle reste seule, au milieu de la foule.

Solitude d´effroi du glacial Océan
et calvaire sanglant


d´exilé...!
Solitude d´effroi du Coeur, de ma Conscience
et ma triste Existence
de damné...!
Solitude de tombe et souffrance d´Enfer...!
Enfer...!
Fer...!

Ombre qui suit ma Vie: Désillusion!
Ombre de ma Conscience: Scepticisme!
Ombre qui prend mon Coeur: Incompréhension!
Solitude d´abîme, de désert et de cime!
Solitude infinie...!
.........................
Et au loin...,
quelques larmes d´un coeur romantique
albigeois....

Gurs, 5-XI-1939



FOI

Parfois, lorsque l´indignation comme une bombe,
éclate dans mon coeur et à ma bouche monte,
ainsi qu´un blasphème,
je sens alors le doux contact d´une autre bouche
qui dans ma gorge, sèche le juron, l´étouffe,
avec une caresse.

Parfois, lorsque ma tête de fièvre brûle
et que la Démence pâle torture mon cerveau
comme un brutal démon,
je sens alors une tiède main de femme
qui touche ma tête ardente, tendre, tendre,
refroidissant mon front.

Parfois, lorsque la faim par son ongle spectral,
me perce les entrailles, ainsi que le poignard
d´un perfide assassin,
je sens alors dans mon oreille, le murmure
d´une voix fine qui me berce et qui m´amuse,
comme un chant enfantin.

Parfois, lorsque me tient l´insomnie, éveillé,
et que je m´imagine être vif enterré
dans un grand cercueil noir,
je sens alors sur mon corps froid, comme les ailes
d´un bel ange divin, qui me couvre et me baise
            avec un tendre soin [9].

Suzette, mon enfant, j´ai vécu beaucoup;
j´ai perdu dans les hommes, les dieux et tout,
la Foi consolatrice.

Pourtant, je crois encore en une fille belle
et je n´ai pas, souvent, cherché, à cause d´elle,
la Mort libératrice....

GURS, 7-XI-1939





TÉLÉPATHIE

Ne t´émerveilles-tu parfois,
mon bibelot albigeois
que soudain en nos écrits jaillisse
une Pensée identique?

C´est que parfois, ma chère enfant,
nos pensées sont l´astre naissant
Et le Soleil, ensemble, éclaire
des parallèles contraires...

Ne t´émerveilles-tu parfois,
que nos âmes aient à la fois
un sentiment d´élévation
sur l´épaisse abjection?

C´est que parfois nos sentiments
sont un fin zéphyr d´Occident.
Et le Zephyr, de même, apaise
les cimes et les plaines....

Ne t´émerveilles-tu parfois
sans que nous sachions pourquoi,
qu´en notre coeur soudain jaillisse
un Souhait identique?

C´est que parfois nos deux désirs
sont des flots de jade et saphyr.
Et l´Océan de même embrasse
des falaises et des plages...

Ne t´émerveilles-tu, Suzy,
que nos pensées et nos désirs
et nos plus tendres sentiments
coïncident souvent?

C´est que nos âmes enfantines
aussi charmantes que des cygnes
sont les deux ailes blanches,
du même bel Archange.

GURS, 12-XI-1939





FROID

Mon âme est une enfant déguenillée et transie,
perdue dans le désert d´un exil implacable.
Comme la blanche neige est mon âme très blanche.
Glacée, comme la neige de la Sibérie...

Je sens froid, trop de froid dans mon âme et mon corps.
Il pénètre mes os; la moëlle en est gelée.
Et il perce déjà mon esprit accablé,
glaçant mes sentiments qui tombent en flocons.

Mon âme est une enfant orphéline et timide,
délaissée dans la rue impitoyable et sale.
Elle n´a pas de mère aimante qui l´embrasse
de père affectueux qui l´étreigne, la câline.

Je sens froid trop de froid... Et c´est mon coeur brisé
qui répand en silence les larmes de son sang,
comme une stalactite aux grénats sanglotant
sur la tombe cachée d´illusions déchirées.

Mon âme est une enfant mendiante et affamée
qui mourait peu à peu dans un cruel exil.
Tu passas par hasard; dans tes bras tu me pris
et ranimas mon âme à la Mort arrachée....

GURS, 16-XI-1939


VISION

Aujourd´hui s´est pendu un camarade.
            Il n´est pas le premier.......!
Son corps tombait du haut d´une baraque
            comme un spectre d´enfer.

Son visage maigre était fort livide
            et on voyait sa langue
comme une grimace hostile et tragique
            à la farce sociale.

Et ne put pas, ce miséreux bonhomme
            supporter cette vie;
et il noua une corde à sa gorge
            avec une froide énergie.

Malheureux camarade!.... Malheureux?....
            C´est moi l´infortuné.
Il a quitté ce camp d´horreur,
            Et j´y reste enfermé.....!

Si j´avais sa bravoure sans espoir,
            Moi-même comme lui,
j´aurais embrassé la Mort un soir,
            Sans faire aucun bruit.



J´aurais cherché la mort dans mon Espagne,
            Devant un peloton,
Donnant aux assassins de la Falange
            Une digne leçon.....

J´aurais cherché la mort dans la Légion,
            sur les champs de bataille,
Bravant avec vaillance, des avions,
            la meurtrière mitraille...

Je me serais lancé comme Attila
            dessous un train express,
ou comme Kleits, tué en un instant
            d´un coup de pistolet.

J´aurais déjà reconquis une digne
            situation hors du Camp.
Je serais maintenant un homme libre
            ou sinon.....;le Néant!

Mais je ne suis qu´un homme lâche et fou
            qui n´a pas de courage
Pour se suspendre comme toi par le cou,
            mon vaillant camarade.

Et j´aime mieux cette existence dure
            de paria misérable,
que me suspendre avec ma ceinture
            en haut d´une baraque......
................................................................

( Le courrier du matin vient d´arriver.
            Des lignes de Suzon.
Et ensuite......, j´ai senti s´effacer
            la macabre vision.)

Gurs, 26-XI-1939.

Nota.

Heinrich von Kleits, grand poète allemand du siècle passé. Il se suicida à l´âge de 33 ans.
Jossef Attila, grand poète hongrois contemporain.  Il se suicida en 1937, à l´âge de de 32 ans.



PASCALIENNE

Jamais tes yeux purs de vierge
n´ont ébloui mes prunelles
            Et néanmoins...
            Je t´aime.
            Pourquoi....?

Ni ta voix de tendre alouette
n´a caressé mes oreilles
Et néanmoins.....
je t´aime
Pourquoi....?

Jamais helàs! peut-être
nous ne nous verrons sur terre.
Et néanmoins.....,
je t´aime.
Pourquoi...?

Oh!"le coeur a des raisons...."
Oui, oui,
Suzy.
Pascal n´avait pas tort.

Gurs, 30-XI-1939






CLOCHES

Parfois, lorsque la rose de l´Aurore
n´a pas encore entr´ouvert sa corolle,
j´entends plongé dans les nocturnes ombres
un triste son de cloches.

Dan...! dan...! dan...!
Mon coeur pleure du sang...

Dans la bière glacée de mon repas,
elles sonnent ainsi qu´un glas de mort.
Le mort c´est moi...! Mais mort justement..? Non.
Enterré vif plutôt!

Dan....! dan....! dan....!
Mon coeur pleure du sang...

L´écho brumeux des cloches du village
me rappelle les ans de mon enfance.
J´avais alors d´azurées croyances.
Aujourd´hui, leur cadavre!

Dan....! dan....! dan....!
Mon coeur pleure du sang...

L´Espagne est un immense cimetière.
Il s´élève du fond de sa misère,
un angoissant et bruyant Miserere.
            Les gens bouchent l´oreille.



Dan....! dan....! dan....!
Mon coeur pleure du sang...

Les cloches semblent dire: ¡Vae victis!
Le triomphateur brutal les asservit.
Ils crachent, les lâches et les vils.
L´Eglise les maudit....

Dan....! dan....! dan.....!

Et mon coeur vole au Tarn....

Gurs, 3-XII-1939





SITIO

Comme Christ sur la croix, j´ai soif brûlante [10]
car comme Lui, je suis crucifié.
Mais au lieu de l´eau pure qui l´étanche,
on m´offre du vinaigre sans pitié...

J´ai soif [11] inextinguible de Justice
et je vois seulement
l´Injustice la plus flagrante et [12] vile
triompher insolemment...

J´ai [13] soif inextinguible de Bonté
et regardent mes yeux [14]
les loups odieux de la Méchanceté
hurler avec fureur....

J´ai soif de Verité, nue et totale,
dans la Vie et la Pensée.
Mais tout est près de moi trucs de Théâtre
et honteuses pirouettes...

Mais....je ne suis qu´un homme seulement!
Mon coeur n´est pas divin
et ne peut que haïr ferocement
la meute des coquins.....

Mon coeur souhaite aimer, aimer; aimer.
Mais seulement on m´offre
la coupe noire de haine et de fiel
avec sourire atroce.

Soit! Je la boirai donc jusqu´à la lie.
Il n´y a pas d´option.
L´Evangile n´est qu´une rêverie
et le Christ, un idiot.... (un bon Pierrot: lui)

Mais....tu es arrivée à temps, gosse chère,
et ton geste d´effroi
a tout à coup arraché de mes lèvres
l´horrible vase noir....

Gurs, 8-12-1939






******


Vous êtes un beau ciel d´automne clair et rose!
Mais la tristesse en moi monte comme la Mer...
Ch. Baudelaire, Causerie


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Triste, j´ai tant besoin d´un confident qui m´aime,
me parle avec douceur...

H. Moreau, La Voulzie

*********

L´Illusion féconde habite dans mon sein,
d´une prison sur moi les murs pèsent en vain,
j´ai les ailes de l´Esperance....

A.     Chénier, La Jeune capt

























SEGUNDA PARTE

SANG
(La estrella verde)

Malheureux compatriote! Il dormait près de moi.
Il avait une fille,
fraîche comme une fleur, brunette comme toi
et comme toi, très fine.

Mais la fille jolie demeurait en Espagne
et dans l´exil son père.
Et le pauvre fanait ainsi qu´une joubarbe
d´un sombre cimetière.

Le père, triste et seul, ne parlait à personne.
On le voyait souvent
contempler un portrait de sa chère mignonne
mélancoliquement.

Sa peine était profonde, profonde,
autant que l´Océan,
et perçait lentement son âme pudibonde,
ainsi qu´un long Kandjar.



Un jour mon compagnon reçut quelque missive.
Elle arrivait d´Espagne.
Qu´est-ce qu´elle disait cette lointaine épître
à mon bon camarade...?

Dans la nuit, tout le monde sommeillait. Silence.
Mais j´étais eveillé.
Tout à coup, une plainte étranglée et dolente
s´éleve à mon côté.

La baraque était sombre, j´allumai une lampe
Spectacle d´effroi!
Mon voisin malheureux se saignait par une ample
coupure de rasoir...!

Il pressait un papier parmi ses rudes doigts:
le portrait de sa fille;
fraîche comme une fleur, brunette comme toi
et comme toi, très fine...

::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::

Mon enfant, si tu es un jour malheureuse
comme la fille belle,
ma douleur serait  aussi vive et affreuse
que celles de son père....

Gurs, 13-XII-1939


RENONCEMENT

Je comprends, je comprends...

Si tu savais pourtant, chère mignonne, combien j´ai pleuré....!
Mais au-dedans, dedans....
Mes yeux sont secs, et mon coeur est mouillé.

Je comprends, je comprends...

Mais je t´aime: Je t´aime follement [15]
et mon coeur ne veut pas écouter ma raison.
Il entend seulement
la voix de sa passion.
Malgré tout, je comprends...
Je comprends que tu es un frais bouton qui s´ouvre
et moi helàs! une fleur qui se fane...
toi, un beau clair de Lune
et moi, un orage...
Je comprends que tu es un calme lac
et moi, un tumultueux et profond Océan...
toi, un joli sentier
et moi, un gouffre mortel...
toi, la joie pure et folle de la vie
et moi, la tragédie...
toi, une chanson,
moi, une lamentation...
toi, le ciel
et moi, l´enfer...
toi...
moi...

Je comprends, je comprends...

Mais je t´aime, je t´aime, mon enfant.
Et mon coeur porte triste un crêpe noir,
dès qu´il apprit que tu aimais d´autres gars...

Mais je comprends, je comprends...

C´est la Vie. Oui.
Et rien plus que la Vie.
Comme elle, tu es fatale,
implacable et logique.
Car tu es, mon enfant, de chair et sang.
Et de chair et de sang de vingt ans...

Oui, je comprends, je comprends...

Nos vies suivent directions contraires.
Jamais elles ne se rencontreraient.
A quoi bon notre destin forcer...?
Il ne vaut pas la peine...!

Oh! je comprends, je comprends...

Et toi......, comprends-tu aussi,
ma mie.

Notre amour au-dessus de nos sens,
cette amitié sublime
et doux attachement
sont une ode tellement divine...!

C´est l´Amour saint, parfait,
la quintessence de l´Amour humain.
Et ...... qui sait, mon tendron!


Qui sait, Suzon......!
Peut-être cette idylle suprême de nos âmes
se briserait trop vite par le choc des visages.
Toujours les idéals ont été beaux, charmants.
Mais les réalités....! ne sont autant

Comprends-tu, mon amie.
Comprends-tu, ma chérie.

Il vaudrait mieux peut-être
de renoncer enfin à nous connaître.
Oui. Peut-être....ma mie,
Pourquoi...? Parce qu´alors
nous resterions pour toujours dans la Vie
la plus belle illusion.
Et quand un jour nos coeurs se déchiraient
parmi les ronces du sentier,
nous pourrions en tout temps nous appeler,
de loin et en secret,
comme une douce et supreme invocation,
dans les angoisses du péril,
murmurant nos deux noms
comme le nom du Christ...

Gurs, 17-XII-1939

COLOMBES

Des ailes! des ailes! des ailes!
comme dans le chant de Rückert,
pour voler là-bàs avec elles,
au soleil d´or, au printemps vert!

T. Gauthier, Ce qui disent les hirondelles.







SONATINE DE PRINTEMPS

A Mlle. Paulette Gayraud

"J´adore chanter. Je chante oh! n´importe quoi et
n´importe comment, d´un bout de la journée à l´autre."

P.G. Lettre à A.G. 26-IV-1939

Mademoiselle. Sans avoir le bonheur
de vous connaître, j´ai été très heureux,
belle alouette,
d´écouter vos ballades
dans ma baraque.
Les fredons séduisants
de votre voix
m´ont transporté aussitôt
à ma nation.

Et dans certain verger
de ma Castille,
j´écoutais la sonate,
bleue et triomphante
de rires et baisers
d´une autre fille,
couronnée par les fleurs
d´Avril radieux...

Etes-vous brune ou blonde...?
Etes-vous faible ou forte...?
Etes-vous Aphrodite,
Juliette ou Héloïse...?
Mais qu´importe cela !
N´avez-vous pas vingt ans...?

Chantez belle alouette
vos chansons printanières.
Le rossignol d´Amour
vous répondra un jour.
Soit toujours votre vie
une saison fleurie...

Saint-Cyprien, 31-IV-1939




RÊVERIE [16]

A Mlle. Suzy Valats
pour son portrait.

Suzette,
belle brunette,
profil d´enfant sentimentale,
douée d´une âme de colombe,
dans un corps frais et fin de rose
et "sex appeal" de grande étoile...

En regardant tes yeux vivaces
de miel, de flamme et de topazes,
je rêvais hier à des amours
voluptueux, ardents et doux,
dans jardins gais et palais riches
entre dentelles, lis et cygnes...

En admirant tes chaudes lèvres
- oeillets de sang et rouges perles -
je rêvais hier à de fous baisers
qui énivrent, brûlent et caressent
parmi les bras de soie et de nacre
d´une Vénus aux seins d´albâtre...

Ensorcelé par ta silhouette
de délicate et tendre vierge,
j´oubliais pour quelques instants
- oubli béni et apaisant ! -
le drame noir et trop tragique
de ces trois ans de vie horrible...

Suzy,
rose d´Albi
aussi charmante
que ta France...

Agrée ainsi qu´un beau bouquet
mes compliments d´ami galant,
brodés de fleurs et de baisers
comme un gracieux madrigal...

Saint-Cyprien, 25-V-1939



IDENTIFICATION

A Mlle. Suzy Valats
avec mon portrait

Me connais-tu, Suzy...?
Reconnais-tu l´ami...?

Regarde dans mes yeux.
Ne te vois-tu en eux...?

Contemple-moi les lèvres
qui murmurent: Ma fée!

Ainsi qu´une Princesse,
dans ma pensée tu règnes.

Me connais-tu, Suzy...?
Reconnais-tu l´ami...?

Je suis triste et malade.
Un doux baiser, mon ange...!

Gurs, 28-IX-1939








CHRISTMAS [17]

A Mlle. Suzy Valats pour
le jour de Noël

Je voudrais, mon enfant, en ce Noël t´offrir
la céleste gaîté qui annonça le Christ.
Mais mon âme malade est à présent plongée
dans un puits de tristesse...

Je voudrais te donner l´étoile éblouissante
qui éclaira Bethleem cette nuit mémorable.
Mais je n´ai qu´une étoile effrayante et pâlie
qui rend sombre ma vie...

Je voudrais t´envoyer tous les parfums et l´or
qu´à Jesus les trois Rois offrirent comme don.
Mais je suis à présent un pauvre sans chemise,


comme François d´Assise...

Je voudrais, mon enfant, en ce Noël t´offrir
le bouquet le plus beau du parc le plus fleuri.
Mais je n´ai que des lis et des roses sanglantes
du jardin de mon âme...

Je te prie humblement d´agréer cette gerbe
de fleurs de ma douleur silencieuse et extrême.
J´ai déposé sur elle un baiser, un soupir
et mon coeur, ma chérie

Gurs, 21-XII-1939



ETRENNES

A Mlle. Suzy Valats pour le jour
de l´An 1940

Je ne sais pas, mignonne, lire dans les astres,
ainsi qu´un ancien mage...
Non plus dans les entrailles sacrées des victimes,
ainsi qu´un aruspice...

Ni dans la Providence de l´ Être Suprême
comme un ancien prophète...
Je sais seulement lire dans mon coeur saignant,
de même qu´un amant...

Et j´y lis les souhaits les plus ardents, mignonne,
pour que l´année prochaine
soit un triomphe d´Amour, de Diamants et de Roses
pour ta fraîche jeunesse...

Gurs, 28-XII-1939




EPIPHANIE

A Mlle. Suzy Valats
pour le jour des Rois (1940)

Si j´étais, petite, un Roi oriental...,
je te donnerais
un petit palais
de jade et de grenats...

Une cour de geisshes et de troubadours,
un bouffon chinois,
un beau page noir,
et un nain hindou...

Un jardin orné de ravenalas,
étangs et pigeons,
garde de dragons
et jets d´eau fleurants...

Des carrosses d´or, traînées par chevrettes,
bijoux de Golconde,
tissus de Cambodge
et tapis de Perse...

Si j´étais, petite, un Roi oriental...
tu aurais le faste,
de la reine arabe
Balkis de Saba.

Gurs, 3-1-1940



NERFS

A Mlle. Suzy Valats,
pour sa dernière épître

Nerfs, nerfs de Jeune Fille
en fleur,
qui rit, pleure et badine,
ainsi qu´une Diablesse de l´Humeur...

Cordes d´un fin violon
            sorcier
qui va de Mendelsshon


à une folle chanson de Chevalier...

Eclairs de l´Hystérisme
pâle
qui fane Marguerite
et fait vibrer la chair de Cléopatre...

Ailes d´un papillon
brillant
qui d´un rhododendron
agile saute à un infernal volcan...

Des volutes du Spleen
changeant
qui est dans Manon ennui,
qui est inspiration dans George Sand...

Nerfs, nerfs de jeune Fille
en fleur...!
Soupirs, larmes et rires
sous l ´arc tendu d´un Cupidon moqueur...

Qu´es-tu à présent nerveuse,
chère...?
Chose pas merveilleuse...!
Les roses, en s´ouvrant, tremblent de même...

Si près de toi j´étais,
tendron,
tes ners j´apaiserais
par des fleurs, des baisers et des chansons...

Balloire, 23-2-1940



PRIÈRE

A Mme. Valats

La Vie est le soleil d´un jour d´Hiver
qui brille, échauffe et meurt dans quelques heures,
trottant joyeusement dans un ciel clair
ou traîné par des vues tempestueuses.

Madame, le soleil de l´Existence
le nuage de la Guerre l´a effacé.
Plaise à Dieu que votre vie en pente
soit un beau crépuscule sur la Mer...



Balloire, 26-III-1940

OEILLETS

A Mlle. Poiron

Fillettes...!
Des lis, des myrthes, des violettes...
Enfants...!
Des oiselets jolis, bruyants...
Ecole...!
Vision d´enfance, azur et rose...
Parterre gai d´âmes en fleur,
aux soins exquis d´archanges bleus...

Pour votre coeur, Mademoiselle,
je veux de même, archanges, oiselets.
rosiers:

Visions d´or et d´azur, de soie,
de joie....
Et ....un beau nid de rossignol,
dans les jardins de Cupidon...

La Motte-Bourbon, 31-V-1940












MER EN FURIE

A Mlle. Suzy Valats
pour sa dernière epître


Chérie,
la Mer est en furie
et ressemble une altière amazone,
la chlamyde émeraude
et panache de lis.

Près de la plage,
comme une trombe
passent en triomphe
des quadrigues fiers, malachite et nacre.
Des coursiers neigés
courent au galop,
flottant leurs crins longs
au vent déchaîné.

Et comme une immense poussière de plomb,
la brouillasse fine
efface la svelte silhouette des monts
francs-hispaniques.

Dans l´air il y a
fracas de combat
et dans les abîmes,
bagarre de nymphes.
Aux bras d´un éphèbe,
la belle Aphrodite
se baigne timide
au bord d´une îlette.
Palme de pétales...
Rumeur de baisers...
Et sur une vague,
ailes de mouettes...

Chérie,
la Mer est en furie,
et il y a une orgie
de Naïades, Tritons et Houris...

Je viens d´avoir, Suzon,
dans cette bacchanale,
quelque étrange vision


éblouissante.

A cheval sur un flot de diamants,
tu étais arrivée
cette matinée
jusqu´à cette plage.

Et tu portais une robe verte,
garnie de dentelles.
Et ainsi que l´altière amazone,
tu arrivais en triomphe.
Et ainsi que la Mer en furie,
tu étais très jolie.
Nous causions...
Et nos mots
avaient l´air d´une douce sonate
comme le bruit des vagues.
Et nos coeurs galopaient emballés,
comme les blancs coursiers.
Alors je caressais ta chevelure,
comme le sable ardent la tiède écume.
Et comme à l´Horizon, la Mer, le Ciel,
nos lèvres s´unissaient dans un baiser.
Après, nous plongions nos regards au fond de nos pupilles,
pour voir si notre amour - divine sonatine -
était aussi immense que l´immense Ciel
et profond que la mer...
Et....oui, oui,
ma chérie.
Nous le trouvions encore aussi fier et joli
que la Mer en furie....

Argelès-sur-Mer, 15-VII-1940


















BOLERO

A Mlle. Suzy Valats au dos de
"Gitanes" de Giot.

Eventail andalou et gitan
      de Carmen d´Espagne,
qui caresse la chair de Don Juan
       et brûle son âme...

J´ai un amour caressant et brûlant
        au Midi de France.

Argelés-sur-Mer, 16-VII-1940




MADRIGAL ESPAGNOL

A Mlle. Gaby Demay
Limoges

Gaby,
belle infirmière,
qui les corps guéris
et les âmes blesses...

Pour ta chevelure
de soie et de topazes,
blondine charmante,
je voudrais des peignes enchantés de Lune...

Pour ta gorge fine
de cygne et de neige,
délicate vierge...,
le faste des perles d´une Impératrice...

Pour tes bras de marbre,
serpents tentateurs
et voluptueux...,
des bracelets d´une coquette Sultane...

Et pour ton coeur d´or
ta bouche de fraise,
ta chair de déesse...,
l´amour d´un ephèbe tel un Apollon...

Gaby,
belle infirmière,
qui les corps guéris
et les âmes blesses...

Si j´étais un dieu
ou du moins, un roi,
tu aurais, crois-moi,
l´Empire superbe et brillant du Bonheur....

Argelès-sur-Mer, 18-VII-1940




METAMORPHOSE

A Mlle. Suzy Valats pour le
premier jour des vacances d´été.

J´ai quitté ce matin mon lit de sable à l´aube
            pour contempler l´Aurore.
La Mer était très calme et le Ciel était clair.
            Marine de Lorrain.
Les alfanges dressées de voiliers noctambules
            décapitaient la Brume.
Mes deux yeux à l´affût attendaient l´Astre-Roi
            avec un doux émoi.
Orné de pourpre et d´or, il apparut fastueux
            ainsi qu´un Empereur.
Pour lui dire bonjour une mouette alors
            s´arrêta sur un flot.
Et mon coeur saisi d´une inspiration soudaine
            lui demanda des ailes...
................................................................
N´as-tu pas entendu ce matin magnifique
des coups d´ailes aux vitres...?
C´était mon coeur, mignonne, en mouette changé,
qui venait t´éveiller.

Argelès-Sur-Mer, 2-VIII-1940


































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POEMAS FRANCESES DESTRUIDOS:

La levée.
Marche des esclaves. Marcha de los esclavos.
Quartier chinois. Barrio chino.
Marsellaise.  Marsellesa.
Mépris. Desprecio.
Boue. Barro.


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Ma chansonnettte, prends ton vol!
Tu n´es qu´un faible hommage...

H. Moreau, La Fermière

Des ailes! des ailes! des ailes!
comme dans le chant de Ruckort,
pour voler là-bas avec elles,
au soleil d´or, au printemps vert!

T. Gauthier, Ce que disent les hirondelles.

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
 et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
et qu´à vos yeux si beaux l´humble présent soit doux.

P. Verlaine, Aquarelles.
SOUHAIT

A Mlle. Suzy Valats, pour son
début d´institutrice à Cruzy.

Former des âmes enfantines
c´est compléter l´oeuvre divine,
couronner l´oeuvre maternelle
et être ensemble Dieu et Mère...

C´est allumer des aubes tièdes,
c´est iriser des verts parterres
et parfumer l´air du matin:
être soleil, être Jasmin...

C´est dévoiler les yeux d´Isis,
c´est entrouvrir des paradis
et habiller l´esprit de fête:
c´est être Mage, Archange et Fée...

Madame
Pour tes débuts d´institutrice
je veux
une éclosion de coeurs et fleurs
Q´un ange
batte ses ailes sur ta classe
Qu´ils soient
tes jours, une chanson de joie.

Camp d´Argeles, le 28 Septembre 1940

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

FUENTES Y BIBLIOGRAFÍA


GARCÍA SESMA, Manuel: Psicología de los campos de concentración. Inédito.
GARCÍA SESMA, Manuel: Poemario Fiterano. Gráficas Iruña. Pamplona, 1969.
NOTAS MANUSCRITAS.
GARCÍA SESMA, Manuel: A l´ombre d´un ange. Inédito.
VALATS, SUZANNE: 126 cartas personales.
L´amour et l´occident.
GARCÍA SESMA, Manuel: Poemas serios. Inéditos.
GARCÍA SESMA, Manuel: Poemas de Guerra y Destierro. Inéditos.
GARCÍA SESMA, Manuel: La Rioja, Logroño, 1926.
GARCÍA SESMA, Manuel: Le Secret de Marceline DESBORDES-VALMORE. Albums du Crocodile, Lyon, 1945.



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[1] Una antología de estos mismos poemas (Poèmes de Noël) está fechada el 3 de agosto de 1940. Tres días después que la que habíamos consultado hasta ahora. Corresponde exactamente a la segunda parte de esta misma antología: A l´ombre d´un ange.
[2] Carta número 26.
[3] Original: le
[4] Original: “Tout à coup une nue”
[5] Original: “du vert lac” (de l´étang).
[6] Original: “Je vers toi me penchai” (Vers toi je me penchai).
[7] Original: “d´aile de soie” (brodé en soie).
[8] Suzy corrigé ce vers: Des vagues battant fort, torturent mon cerveau
[9] Suzy corrige: avec une infine tendresse.
[10] Comme le Christ en croise, j´ai une soif brûlante
[11] une soif
[12] la plus vile
[13] une soif
[14] et mes yeux ne voient que
[15] Suzy corrige: je t´aime mon enfant
[16] Carta número 4.
[17] En la colección, Poèmes de Noël, debajo del título del poema, Christmas, escribe: Ecrite au camp de concentration de Gurs, à l´occasion de Noël 1939.

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