Índice
Ballade du café de la ville, Saumur, 15/11/1944
Entretiens avec Jacqueline, Saint-Cyr-en-Bourg, décembre 1944
Lever du soleil sur la Loire, Saumur, 15 décembre 1944
Ballade du café de la ville, Saumur, 15/11/1944
Entretiens avec Jacqueline, Saint-Cyr-en-Bourg, décembre 1944
Lever du soleil sur la Loire, Saumur, 15 décembre 1944
L´Ange de l´Absent, Saumur, 24/12/1944.
Avec Figaro Chez Lucien, Saumur, 31/12/1
Avec Figaro Chez Lucien, Saumur, 31/12/1
BALLADE DU CAFÉ DE LA VILLE
Saumur,
le 15 décembre 1944
Il
pleut. Bourrasques. Froid. Où aller? J´ai déjà vu les deux films que l´on passe
aujourd´hui à Saumur. Au cinéma Palace “Le Colonel Chabert”, une
adaptation du célèbre roman de Balzac; à l´Anjou–Cinéma, “Bar du Sud”,
un film sur les trafiquants d´armes et fauteurs de troubles. Je préfère rester
chez moi. Je descends à la cuisine de mes hôtes. Il y fait plus chaud que
dans ma chambre. Et pour me distraire, je me mets à écrire une nouvelle.
Mes hôtes s´en vont passer l´après-midi ailleurs. Sauf la vieille servante
et la fille aînée de la maison. Celle-ci s´attaque, à mes côtés, à un
devoir de latin des Cours Dacier.
Ah!
dans sa chambre reste aussi la vieille grand´mère. 84 ans. Elle est clouée
au lit depuis quelques jours. Bah! des malaises de vieillards. Le
Docteur a dit que la chose n´a pas d´importance. Cependant...
Vers
16 heures la vieille servante entre dans la pièce de la malade et en sort
incontinent toute affolée. Elle bredouille avec émoi:
“
- La grand-mère est en train d´agoniser..!”
Fichtre! La
jeune fille prend tout de suite son vélo et part chercher sa famille, le
Docteur et le Curé. J´entre à mon tour voir la moribonde. En effet,
c´est l´agonie. Je la trouve aux râles de la mort. La vieille servante étant
sortie chercher je ne sais quoi, la grand-mère expire devant moi. Elle n´a
pas soufflé mot. Elle s´est éteinte comme une chandelle. Pour m´en assurer
complètement, je prends une glace et l´approche de sa bouche. La glace ne
se ternit point. Mais oui: c´est fini.
Je
ne perds pas mon sang-froid. Mais un trépas est toujours un spectacle
navrant. Ce n´est précisément pas le fait lui-même qui m´impressionne, mais son
affreux mystère. Devant quelqu´un qui meurt devant moi, je suis immédiatement
hanté par la question de notre destinée. Je ne puis jamais m´empêcher
d´interpeller, dans mon for intérieur, le mourant: où vas-tu, mon ami...?
Au-dessus
du lit de la grand-mère, je remarque un tableau qui la représente à 35
ans. Une splendide jeune femme. Qui la reconnaîtrait à présent dans
ce spectre émacié et parcheminé, les yeux éteints et la bouche
ouverte...?
Quelle
vie absurde et éphémère que cette vie terrestre! N´y a-t-il pas, ailleurs,
une autre plus durable et intéressante...?
Quand
la famille, le Docteur et le Curé arrivent, ils n´ont naturellement rien à
faire. Je leur explique comment la chose s´est passée et je quitte par la
suite la maison. Comment y continuer tranquillement à faire de la
littérature...?
D´autre
part, je n´ai plus envie d´écrire, mais de changer d´idées, de neutraliser la
pénible impression que vient de me produire cette mort.
Mais
où aller...? Voilà le problème.
Le
Café de la Ville est l´arche de Noé de Saumur et des environs. On y trouve des
animaux de toute espèce. Surtout des poules et des coqs... Cela veut
dire que c´est un lieu pittoresque. En outre, c´est l´unique établissement de
la ville où joue un orchestre. Un tout petit orchestre. Une jeune femme
et trois hommes le composent. Ils portent comme uniforme un boléro blanc. La
salle est une pièce peu spacieuse, divisée en trois compartiments. Le plafond
est ocre, lambrissé. Les murs sont garnis de grandes glaces. Pour satisfaire à
la curiosité et à la coquetterie des femmes...? Pas du tout. Pour
mieux surveiller afin que personne ne “file” sans payer. Un garçon et deux
femmes servant les clients. Celles-ci forment le contraste le plus
parfait. L´une est petite, faible et serviable; l´autre est grande,
forte et acariâtre. Leurs noms ne sauraient être plus appropriés. Celui de la
première signifie “Cadeau de Dieu”; celui de la deuxième, “Petite
Lionne”...
Quand
j´entre au Café de la Ville, c´est déjà le complet. Mais j´ai encore la
chance de repérer une chaise. Je la prends et je vais m´asseoir entre une
jeune fille châtaine et une blonde. Par surcroît, j´ai en face deux brunes,
l´une d´elles très mignonne. Elle a des yeux émerillonnés et est
délicieusement coiffée. C´est normal. Elle est coiffeuse. (Non à Saumur,
mais au Mans.) Trois jeunes gens les accompagnent; l´un d´eux est un de
mes amis.
La
salle regorge de jeunes beautés plus ou moins artificielles. Ces charmantes
petites françaises sont des “as” du maquillage.
Et
quoi! Au point de vue décoratif, ce qui importe chez les femmes c´est de
se montrer toujours belles. Les moyens importent peu.
L´orchestre
est trépidant, étourdissant. C´est son rôle.
Sinon,
pourquoi tant de monde se rassemblerait-il ici? Pour s´amuser...? Pas du
tout. J´examine les visages des assistants et la plupart n´ont pas l´air de
gens qui s´amusent. Ils ont plutôt un air las. Parfois franchement ennuyé.
Mais non, ils ne s´amusent pas. Ils se distraient, c´est-à-dire, ils ne
pensent plus à leur ennui.
Et
quand l´orchestre tape fort, ils s´étourdissent. Voilà tout.
Cette
musique endiablée de jazz est l´art d´abasourdir, au son des
instruments. Bien entendu, je ne la blâme point. C´est le
reflet de la vie moderne: vie de bruits, de vertige et de neurasthénie.
En outre, cette drôle de musique désopilante opère comme un anesthésique. En
entendant un swing tapageur, il n´y a pas moyen de penser aux embarras de la
vie quotidienne. Tout d´abord, je ne me rappelle plus la grand-mère,
l´Espagne, la Phalange, Franco et la guerre.
Le
contrebassiste se souvient-il en cet instant qu´il lui faudra aller demain
ramasser du bois à la rue de l´Arsenal...? Non plus. Il s´agite et
grimace comme un singe et pince les cordes de son instrument, avec un fol
emportement.
Le
Café est une chaudière à vapeur. Pareille chaleur. Pareille pression.
Pareil bouillonnement. Ivresse de parfums féminins, Brouillasse de fumée.
Fermentation de désirs et de chairs.
De
temps à autre les épaules des jeunes filles ébauchent des mouvements
convulsifs. Leurs yeux pétillent. C´est la possession des démons du
swing. C´est la griserie du jazz-band.
Je
ne tarde pas, non plus, à en être pris. Les balais chatouillent ma colonne
vertébrale. Je ressens les coups des baguettes aux mollets. Mes
nerfs commencent à se tendre et détendre comme le trombone. Et ma cervelle
devient un accordéon.
J´ai
envie moi aussi de cabrioler, de taper, de scandaliser, de faire du bruit. Je
suis tenté de monter sur une table et de chanter à cor et à cri la
ballade du Café de la Ville...
Hourrah!
Hourrah! Hourrah!
Qui
a dit que ce monde est dégoûtant...?
Mais
non, Messieurs, mais non. La vie est belle! La vie est magnifique! Que
les aigris se jettent dans la Loire...!
Du
tapage! Du tapage!
Saumur
a toujours été une ville gaie. Pourquoi perdrait-elle, en ce moment, son humeur
d´autrefois? Pour ses quartiers démolis? Pour ses ponts volés? Pour ses
familles meurtries? Pour ses captifs, ses déportés et ses fusillés...?
Ta,
ta, ta!
Que
voulez-vous, c´est la guerre!
Les
sanglots ne ressuscitent pas les morts.
Ils
ne redressent pas, non plus, les logis aplatis. À quoi bon servirait-il de se
lamenter...? Au diable les soucis et la tristesse! Puisque l´on a
bien souffert jusqu´à présent, raison de plus pour s´amuser dorénavant...
Du
tapage! Du tapage!
Une
brune, déjà mûre, se distrait en compagnie de son amant. C´est la femme
d´un prisonnier. Sa fille l´accompagne. Sans doute pour apprendre à
vivre comme il faut...
Que
voulez-vous? C´est la guerre!
Est-ce
que la femme d´un prisonnier n´a pas le droit, elle aussi, de se
débrouiller...?
Et
de se consoler...?
Et
de se distraire...?
La
vie est si difficile...!
La
solitude est si triste...!
(El
le mari est si loin...)
Du
tapage! Du tapage!
Un
officier, en uniforme de parade, dialogue cérémonieusement avec une “cocotte”. Il
porte à l´oeil un monocle de lord et à la main un stick de dandy. Entre
temps les F.F.I. du front se battent la boue au cou, les souliers troués
et habillés de bleus d´ouvriers...
Que
voulez-vous? C´est la guerre!
Pour
assaillir une ville allemande, il n´est pas besoin d´uniforme, mais de courage.
Et pour sauter au lit d´une “cocotte”, il n´est pas besoin de courage,
mais d´uniforme...
Du
tapage! Du tapage!
Une
petite employée, appétissante comme un bonbon, joue un duc d´amour avec un
répulsif barbon.
- Un duc d´amour...? Pardi! Ne plaisantez pas.
Bon; appelez-le
comme il vous plaira: prostitution, traite de blanches ou vente de
volaille... C´est égal.
Que
voulez-vous? C´est la guerre!
Les petits salaires
des petites employées ne sont pas en rapport avec le coût de la vie
actuelle. Voyez: une paire de bas bon marché coûte 700 francs; une paire
de gants, 400; un chapeau, 800; un sac à main, 1.600; une paire de souliers,
2.000; une robe, 3.000; un renard, 20.000... Alors vous comprendrez qu´une
petite employée, si jolie et si appétissante soit-elle, ne peut pas manger et
s´habiller élégamment avec 2.500 ou 3.000 francs par mois. Il lui faut un
“protecteur”, un “bon ami”...
Qu´il soit un
barbon dégoûtant? Tant pis. Mais il paie. Il paie les bas, les
gants, le chapeau, le sac-à-main, les souliers, la robe et le renard.
Avec de la musique
de jazz-band, le barbon est moins rebutant...
Du tapage! Du
tapage!
Un élégant parvenu
du marché noir, assis majestueusement devant une bouteille de Royal Melchior,
brûle petit à petit un gros cigare à la Churchill, et regarde avec morgue tout
ce petit monde de boutiquiers, d´artisans et de dactylos qui ne peuvent
consommer que de la bière et ne peuvent fumer que des “gauloises”...
Que
voulez-vous? C´est la guerre!
Les plans de la
Providence Divine, l´Ordre Social, la Tradition, le Droit, etc..., etc...,
exigent que certains scélérats, enrichis subitement aux dépens de la misère
générale, se régalent de vins champagnisés, et que les braves gens, travaillant
pour le bien-être de tout le monde, se contentent d´orge fermenté...
En
outre, la Perle de l´Anjou n´est-elle pas une ville conservatrice...? Mais oui,
Messieurs: conservatrice du Droit, de la Tradition, de l´Ordre Social, des
plans de la Providence Divine et des parvenus insolents du marché noir...
Du tapage! Du tapage!
Une fille “zazou”,
à la bouche de “vamp”, brûle incessamment des “Raleigh”, entourée d´une
cour d´officiers.
- Qui est cette fille? – demande-je.
Et un voisin de
table me répond:
- Non; c´est une jeune femme.
- Aaaah! Et son mari...?
- C´est le Monsieur en civil qui se tient à l´écart.
- Comment! Mais...
- Mais oui, mon cher Monsieur; c´est ce que vous
pensez...
- Quelle horreur!
- Que voulez-vous? C´est la guerre!
Du reste, le
mariage n´est-il pas un contrat de société...?
Voici une belle
société commanditaire: la femme “travaille”, les “amis” paient, et le mari
“encaisse”...
Du tapage! Du
tapage!
Deux ouvriers, un
peu “bourrés”, entrent dans le café et se rangent debout, aux côtés de
l´orchestre. Ils s´habillent de costumes de travail sales, raccommodés et
rapiécés.
Que voulez-vous?
C´est la guerre!
Avec 105 francs par
jour, un ouvrier ne peut pas entretenir à présent une famille et
s´habiller comme un gentleman. Leur salaire est insuffisant. Donc ce
n´est nullement leur faute. Cependant l´élégant parvenu du marché noir les
regarde avec horreur. Il voudrait les chasser à coups de pied. Mais le
patron du Café, quoique embêté, pense philosophiquement: Bah! tandis qu´ils
s´étourdissent de “swing”, ils ne chanteront pas “l´Internationale”...
Une brune grande et
louche se repose de ses récentes couches –dont elle ignore elle-même le
responsable– en compagnie d´un sergent qu´elle vient de connaître, en ce
moment.
Que voulez-vous?
C´est la guerre!
Les mâles tombent;
les femelles en font d´autres.
En outre, Pétain et
De Gaulle, n´ont-ils pas décidé de mettre à l´honneur la maternité...?
Voilà encore une mère à honorer...
Du tapage! Du
tapage!
Encore du
tapage! Toujours du tapage!
Avec la
grosse-caisse, avec le piano, avec le contrebasse, avec l´accordéon...
Allons, Messieurs
de l´orchestre: ne vous arrêtez pas, ne languissez pas, ne baissez pas le
diapason.
J´ai besoin, moi
aussi, de m´étourdir, de ne pas observer, de ne pas comprendre, de ne pas
réfléchir...
Jouez, chantez,
criez, sifflez, hurlez, aboyez...!
La jolie coiffeuse
bâille, la grand´mère attend chez moi la mise en bière et je languis
terriblement ici de spleen, de solitude et de philosophie...
Saumur, décembre
1944
J´ai
préalablement à vous présenter mon ancienne petite amie Mademoiselle
Jacqueline. Voici, d´abord, son portrait physique: 27 ans; 1 m 60 cm. de
taille; 55 kgs. de poids. Bien faite. Cheveux châtain foncés. Visage ovale.
Yeux verdâtres. Bouche petite. Gorge fine. Seins menus. Jambes faconnés au
tour. Mains et pieds mignons.
Son
port était élégant. Ses gestes, mésurés. Son allure, un peu indolente, mais
gracieuse. Somme toute, au point de vue corporel, Jacqueline était une belle
demoiselle.
Le
moral complétait le physique. Son caractère était doux et ses manières,
afables. Son regard serein et un peu absent révélait une âme droite, rêveuse et
sentimentale. Au point de vue intellectuel, c´était une jeune fille assez
intelligente et assez cultivée. Elle avait fait le baccalaureat de Lettres et
elle avait même aspiré à l´agrégation dans l´Université de Paris; mais des
revers de fortune familiaux la contraignirent à abandonner ses études et à
gagner par la suite son pain. Ce coup dur avait marqué son visage d´un certain
air de gravité et avait recouvert son esprit d´un certain vernis de causticité.
Mais on voyait bien que ces traits spirituels étaient tout à fait factices et
commes des couches superposées à son fond naturel, paisible et gai.
Elle
possédait une grosse dose de bon sens et elle mêlait dans sa conversation les
observations les plus judicieuses aux boutades les plus hilarantes. C´était
évidemment une femme d´esprit. Si elle avait été une dame fortunée, elle aurait
dirigé un salon mondain avec l´aisance de Madame Geoffrin.
Malheureusement
pour elle – ou heureusement, qui sait...? -, elle n´était à présent qu´une
modeste employée de Banque.
Elle
travaillait dans un des principaux établissements bancaires de Saumur et elle
était elle-même saumuroise. Elle était née au Quartier des Ponts et c´est ici
qu´elle demeurait jusqu´à ce que le bombardement de la nuit du 31 Mai au 1er
Juin 1944, démolît sa maison, ainsi que la plupart des immeubles du
faubourg. Alors elle vint séjourner provisoirement au village où je
demeurais, rélevant du canton de Montreuil-Bellay, mais pas loin de la capitale
du Haut Anjou. En réalité ce n´était qu´un séjour partiel, puisque la banque où
elle était employée, n´ayant pas été touchée, la jeune fille continua à y travailler.
Chaque matin Jacqueline partait de bonne heure avec son vélo, ne rentrant qu´à
sept heures du soir. A cette époque malheureuse où tout était désaxé, même les
montres, sept heures du soir n´étaient que 17 heures du méridien; et comme
alors c´était l´été, il est oiseux de remarquer que la jeune fille, son travail
fini, disposait tous les soirs de quelques heures de loisir. Jacqueline en
profitait d´ordinaire pour faire une promenade à la campagne ou pour se baigner
dans les eaux du Thouet.
En
la voyant marcher nonchalamment, habillée d´une jupe “zazon” rouge, parsemée de
fleurettes blanches, et d´une blouse à raies fines, blanches et bleues, avec
ses souliers blancs, son sac-à-main sport rouge écarlate, son parasol coquet et
ses grosses lunettes, d´été, on devinait incontinent qu´elle n´était pas une
jeune fille de l´endroit, mais une demoiselle de la ville, installée
provisoirement à la campagne. Jacqueline aimait passionnement la lecture et on
la trouvait d´ordinaire aux bords de la rivière, ayant pour toute compagnie un
livre à la main. Comme je la rencontrais journellement, je commençais au bout
de quelques jours à la saluer courtoisement. Ce n´était pas une simple formule
de politesse, mais de sympathie. Un penchant obscur, instinctif, me poussait vers
cette jeune fille. L´affinité de goûts – puisque j´allais chaque jour, moi
aussi, aux rivages du Thouet accompagné seulement d´un bouquin – éveilla à son
tour en Jacqueline de pareils sentiments à mon égard. Ainsi donc le soir où je
me décidai enfin à lier conversation avec elle, notre sympathie cachée se
manifesta, et à partir de ce moment, notre mutuel isolement cessa. Nous
commençames à nous retrouver presque tous les jours et une franche amitié –
purement platonique aux débuts -, se noua insensiblement entre nous deux. Un
jour elle m´exprima son désir d´apprendre l´espagnol. Il n´est pas besoin de
dire que je m´offris aussitôt comme professeur et qu´elle m´accepta sur le
champ. Bien entendu, désintéressement.
Du
moins, au point de vue matériel. Parce qu´à d´autres points de vue, je venais
justement de lui laisser entendre que je portais sur elle le plus vif intérêt.
Alors dans cet état d´esprit, mon cours d´espagnol à Jacqueline devint en même
temps dès le premier moment, un véritable cours de galanterie. Elle était une
élève tellement séduisante! C´était évidemment jouer avec du feu et je me
brûlai. Avant que je puisse m´en rendre compte exact, je m´en trouvai amouraché
complètement. Mais je ne le regrettai point. Tout au contraire. N´était-elle
pas la jeune fille la plus adorable...?
Les
entretiens, contenus dans ce volume, en sont la preuve. Ils ne sont pas,
certainement, les dialogues de Platon ni de Lucien; mais on en dégage, sinon
une philosophie, du moins un parfum de poésie: celui de cette fleur exquise de
féminité qui a toujours été et continue encore à être la véritable femme
française...
I
Depuis
une semaine, je me disais tous les soirs: “Demain j´aborderai cette
demoiselle.” Mais le lendemanin arrivait, et je ne l´abordais pas. Pourquoi?
Timidité...? Un peu. Bien entendu, ce n´était précisement par peur de
l´aborder, mais de ne pas réussir. Sans la connaître encore que de vue, cette
demoiselle m´était tout à fait sympathique. Ses saluts me charmaient. Quand je
la rencontrais sur mon chemin, je trouvais son “Bonjour, Monsieur” aussi
musical qu´un lied de Schubert ou un sonnet d´Heredia. Quel désenchantement si
j´essayais de la connaître un peu plus de près et que je fusse déçu ou
rejeté...!
Voilà
pourquoi j´hésitais à l´aborder. Mais ce troisième dimanche de Juin, je me
décidai. Jacqueline se trouvait assisse indolemment sur le gazon, aux rivages
du Thouet. Il faisait chaud. Avec sa robe de mouseline polychrome, elle était
aussi jolie qu´un papillon. Comme d´habitude, elle lisait. Un frêne la
protégeait des rayons solaires. La glace de la rivière refletait sa belle
silhouette. Je fis un effort définitif de volonté et je m´approchai d´elle.
- Bonsoir, Mademoiselle.
Jacqueline leva un moment ses yeux et me répondit avec
affabilité:
- Bonsoir, Monsieur.
- Toujours à la lecture...? – ajoutai-je.
- Que voulez-vous? C´est l´unique distraction que l´on
peut se permettre ici.
- En tout cas, c´est une belle distraction. Un livre est
le meilleur ami.
- Du moins, c´est l´ami le moins fastidieux – rectifia
Jacqueline.
Cette rectification me molesta. J´y vis une allusion
voilée. Alors je l´apostrophai:
- Ma personne vous importune-t-elle, Mademoiselle...?
Elle comprit par la suite et elle me répondit, d´un
sourire charmant:
- Oh! non, Monsieur. Je vous en prie. Avez-vous trouvé
dans mon apostille une allusion mortifiante...?
- En effet, Mademoiselle. Excusez-moi. Je suis un peu
trop susceptible.
- Mais non, Monsieur. Vous avez tort. Et pourquoi vous
vous êtes cru atteint? Mais vous n´êtes pas mon ami...
- Certes, Mademoiselle.
- Alors...?
- Alors... si ma présence ne vous gêne point, me
permettez-vous de m´asseoir ici...? conclus-je, encouragé par sa franche
explication.
- Comme vous voudrez – fit-elle un peu surprise. Et
ensuite ajouta philosophiquement.
- La campagne est à tous.
Je m´assis par la suite à un mètre d´elle. A l´ombre
du même arbre. Puis, je repris avec courage:
- Vous êtes très gentille, Mademoiselle. Et vous
sentirez-vous à votre tour offensée, si j´ajoute que je ne vous trouve pas non
plus une femme fastidieuse, mais au contraire, très intéressante...?
Jacqueline rougit légèrement et me répondit un peu
confuse:
- Vous êtes très galant, Monsieur.
- Oh! j´entends que c´est une grossièreté que de ne pas
être galant envers les femmes.
- Envers toutes...? – ajouta-t-elle en se reprenant.
- Du moins envers les jeunes. Et surtout envers les
belles.
- Oh-là-là! Cela veut dire qu´il faut dire toujours de
gros mensonges aux femmes jeunes et surtout aux femmes belles.
- Pas du tout, Mademoiselle. Un compliment n´est pas un
mensonge. Surtout lorsqu´il est adressé à une femme jolie.
- Cela dépend de la classe de compliment.
- En effet.
- Par exemple, vous venez de me dire, pour me
complimenter, que vous m´avez trouvé une femme intéressante. Mais comment
pourrais-je croire à cela, si vous ne me connaissez même pas...?
- Oh...! oui... Mademoiselle – répliquai-je un peu
désarçonné. Je vous connais de vue.
- Mais cela suffit-il...?
- Parfois, si.
- Eh bien, ajouta Jacqueline avec l´aplomb de celui qui
est devenu maître de la situation.
- Eh bien, Monsieur; peut-on savoir quel intérêt
avez-vous à mon égard...?
- Mais oui, Mademoiselle. J´ai intérêt tout d´abord à ce
que vous m´expliquez votre théorie des amis ennuyeux et fastidieux.
Jacqueline ferma définitivement le livre qu´elle
mantenait toujours ouvert avec l´index de la main droite et le déposant par
terre, elle ajouta:
- Mais c´est une théorie un peu longue, Monsieur...
- Ça ne fait rien. Donnez-m´en un extrait, s´il vous
plaît, Mademoiselle.
- Mais oui – ajouta-t-elle en ton persifleur. La faune
des amis fastidieux peut être réduite à trois espèces.
- La première...?
- Celle des amis qui ne savent nous
entretenir que sur l´état du temps ou sur l´état de leur famille...
- Réellement ils ne sont pas des causeurs très
amènes. Et la deuxième...?
- Celle des amis qui nous accompagnent à un bal et qui
dansent à peu près comme un chameau...
- Dame! Danser avec un chameau ne doit pas être
réellement commode. Surtout lorsqu´on est habillée d´une robe longue de soirée.
- Et surtout lorsque le chameau ne fait qu´abîmer nos
souliers et ruminer de temps en temps: “Ah! Mademoiselle, qu´il fait chaud,
qu´il fait lourd... Excusez-moi...”.
- En avant, Mademoiselle. La troisième...?
- Celle des amis qui nous agacent en nous faisant la
cour, alors qu´ils ne nous intéressent pas du tout...
- Très bien, très bien, Mademoiselle. Mais vous savez,
il me semble que vous avez oublié l´espèce la plus intéressante.
- Laquelle...?
- Celle des amis que vous aimez réellement, mais qui
font la cour à vos amies... Jacqueline se mit à rire avec jovialité et me dit
affablement:
- Ah! le malin que vous êtes...
- Pas autant que vous, Mademoiselle.
Par la suite, je me levai, prétextant de ne pas me
trouver assis à mon aise et je m´approchai un peu plus de Jacqueline. Celle-ci
comprit et sourit. Je pensai avec satisfaction:
Cela
commence bien, très bien. Tout d´abord, elle ne me trouve pas fastidieux. Il
faut qu´elle me trouve ensuite intéressant. Puis, charmant. Puis..., puis...,
on verra.
Jacqueline convaincue qu´elle n´aurait plus besoin de
lire pour se distraire, reccueillit son volume et fit geste de le mettre dans
son sac. Mais je m´interposai:
- Quel roman vous lisiez, Mademoiselle...?
- Voyez – me dit-elle, le mettant entre mes mains.
- Diantre! – m´écriai-je. “Le dernier Abencerage”
de Chateaubriand.
- Le connaissez-vous...?
- Comment, Mademoiselle! Mais oui: je le connais depuis
longtemps et je l´aime.
- Pourquoi...?
- Avant tout et surtout parce qu´il parle très bien de
l´Espagne et des espagnols.
- Etes-vous espagnol, Monsieur?
- Mais oui, Mademoiselle.
- Je l´avais déjà deviné dans votre accent.
- Oui: je parle le français comme une vache espagnole,
n´est-ce pas...?
- Oh! non, Monsieur. Ne dites pas ça. Je voudrais bien
parler l´espagnol comme vous parlez le français.
- Vous me flattez, Mademoiselle.
- Pas du tout. D´autre part, vous savez, cette
expression-là vulgaire me deplaît. C´est une corruption grossière du
langage.
- Oui: je le sais, Mademoiselle. Vous disiez auparavant:
“Tu parles le français, comme un basque l´espagnol.”
- En effet. Ce qui est beaucoup plus logique, il me
semble. Parce que je pense que les vaches espagnoles ne parlent aucune langue.
- En effet, Mademoiselle. Elles sont aussi bêtes que les
françaises. Mais, vous savez, elles n´ont pas la mauvaise réputation des
vôtres.
- Comment...?
- Mais oui, Mademoiselle. En France, lorsque vous voulez
insulter quelqu´un, parce qu´il a fait quelque saleté ou quelque bêtise, vous
vous écriez: “Ah! la vache...”
- Est-ce qu´en Espagne elles sont des dames
aristocratiques...?
- Oh! non, Mademoiselle. Nous n´avons pas une
opinion si péjorative des vaches...! Mais personne ne s´en prend à leur nom,
pour blâmer un voyou ou un malandrin.
- Me permettez-vous une question curieuse?
- Je vous en prie.
- Depuis quand séjournez-vous en France?
- Depuis février 1939.
- Ah! je comprends. Vous êtes un réfugié politique...
- Oui, Mademoiselle.
- Exactement comme Chateaubriand, lorsqu´il écrivit “Les
aventures du dernier Abencerage.”
- Oh! pas tout à fait, Mademoiselle. Ma signification
politique et ma situation de réfugié sont complètement différentes. Certes,
Chateaubriand a écrit que “Le dernier Abencerage” est “l´ouvrage d´un
homme qui a senti les chagrins de l´exil.” Mais croyez-vous, Mademoiselle, que
son pèlerinage à l´Orient fut en effet un véritable exil...? Je n´aurais pas
d´inconvenient à sortir les chagrins d´un exil une fois chaque quatre années...
- Dame! On voit que vous connaissez un peu l´histoire de
la littérature française.
- Un tout petit peu, Mademoiselle.
- Alors aimez-vous Chateaubriand, Monsieur?
- Oh! aimer c´est trop. J´admire, d´abord l´artiste; je
respecte l´homme; je déteste le politicien.
- D´accord complet sur le premier point. Chateaubriand
reste et restera toujours comme un des sommets de notre littérature.
- Je le trouve enchanteur.
- Oui, c´est le mot exact. Quant à l´homme, vous savez,
je le trouve un peu trop orgueilleux et surtout un peu trop égoïste.
- En effet, malgré son mariage romanesque, malgré ses
effusions à l´égard de Madame Recamier, malgré le lyrisme cordial qui déborde
de toute son oeuvre, croyez-vous que Chateaubriand aima jamais véritablement
une femme...?
- Qui sait...? Le coeur de l´homme est un mystère.
- Et celui de la femme...?
- Un labyrinthe... Mais dites-moi: pourquoi
détestez-vous le politique...? Il fut honnête et sincère, il fut désintéressé
et libéral.
- Oh! oui; je n´en fais pas question. En outre, à côté
de Richelieu, de Villèle et des Polignac, Chateaubriand faisait figure de
révolutionnaire. Il n´était pas un vulgaire chauve-souris de
l´Introuvable. Mais Chateaubriand commit à notre égard une gaffe
impardonnable.
- La guerre d´intervention en Espagne...?
- C´est ça.
- Mais avez-vous lu la justification de
Chateaubriand...?
- Oui, Mademoiselle. C´est à peu près la même que
Mussolini pour son intervention armée dans notre dernière guerre.
- Ah! je ne connais pas cette justification-ci.
- Pourtant elle a été publiée par l´hebdomadaire parsien
“7 jours”.
Mais oui, Mademoiselle. Aux commencements de l´an
1937, l´ambassadeur italien Cerrutti se présenta un beau jour à Leon Blum,
alors chef du Gouvernement français, pour lui dire de la part de Mussolini que
l´Italie fasciste intervenait en Espagne et continuerait à intervenir à côté de
Franco, parce que le Duce ne pouvait pas tolérer l´installation dans la
Méditérranée d´un régime bolcheviste...
- Dame! Je ne savais pas cette histoire.
- Mais oui, Mademoiselle. Le toupet de Mussolini alla
jusqu´à demander à Leon Blum l´acceptation officielle de cette intervention et
la promesse que la France ne se mêlerait pas, pour sa part, dans cette affaire.
- C´est-à-dire, il avait le droit de se mêler; les
autres, non...
- C´est ça. Eh bien, Mademoiselle, la justification de
Mussolini est à peu près la répétition de celle de Chateaubriand. Celui-ci
envoya en Espagne le duc d´Angoulème avec les “Cent mille enfants de Saint
Louis”, parce que la France réactionnaire de Louis XVIII ne pouvait pas non
plus tolérer dans mon pays l´installation d´un régimen jacobin... A propos de
cette histoire, savez-vous, Mademoiselle, que c´est en rappelant cette
intervention qu´on eut le mauvais goût de construire à Paris le Palais du
Trocadero, à l´occasion de l´Exposition de 1878...?
- Ah! non; je ne connaissais pas ce détail.
- Mais oui, Mademoiselle. Le Trocadero est le nom d´un
fort de Cadix où le duc d´Angoulème obtint un succès facile. Paris n´a pas
perdu grand-chose avec la disparition de ce monument-là ignominieux.
- Mon Dieu! Vous ne mâchez pas vos mots, Monsieur...
- Non, Mademoiselle.
- Mais le prétexte de Chateaubriand n´était-il pas du
moins fondé...?
- Nullement, Mademoiselle. Le régimen constitutionnel
espagnol de 1820-1823 n´était pas du tout jacobin, comme la deuxième République
espagnole n´était pas du tout communiste. Mais c´est sous ces prétextes
grossiers que la démocratie espagnole fut sauvagement égorgée par les
baionnettes étrangères en 1823 et en 1936-39, au bénéfice de la réaction
continentale. En 1823, c´était la Sainte Alliance; en 1936-39, ce fut l´Axe
fasciste Rome-Berlin.
Mais en 1944, ah! mon Dieu, c´est l´URSS qui est
devenue la première puissance d´Europe. Eh bien, toute cette réaction
continentale qui applaudit en 1939 notre assassinat politique et qui a tenté
par tous les procédés notre assassinat personnel, qu´aura-t-elle a répliquer
demain, si la Russie sovietique aidait le prolétariat européen à renverser pour
toujours le régime bourgeois, tournant à son avantage le raisonnenement de
Mussolini...?
- Oh! je ne comprends pas grand-chose à la politique,
Monsieur.
- Oui: laissons la politique de côté. Il vaut
mieux.
- En tout cas, en vous écoutant, j´ai constaté que
Chateaubriand vous a bien dépeint, les espagnols, dans son roman. Vous êtes
fougueux comme Don Carlos et le dernier Abencerage.
- Bah! c´est une question du climat. En Espagne le
soleil tape fort. Il enflamme les têtes et les coeurs.
- Et Grenade est-elle aussi belle que Chateaubriand la
dépeint...? J´aimerais la connaître, surtout l´Alhambra.
- Mais oui, Mademoiselle. Tout est très beau à Grenade:
la ville aux toits roses, la colline gitane de l´Albaicin, les palais de
l´Alhambra et du Généralife, le parc de l´Alameda, la plaine de la Vega, les
deux rivières, le Darro et le Genil, le massif imposant de Sierra-Nevada, le
ciel enchanté, l´air pur et parfumé.
Lisez encore, s´il vous plaît le “Voyage en Espagne”
de Théophile Gauthier et la “Terre d´Espagne” de René Bazin, et vous verrez
avec quel enthousiasme ils parlent aussi de la fameuse capitale andalouse.
Grenade est en effet une ville de rêve et il n´est pas
étonnant qu´elle ait toujours touché profondement l´imagination de tous les
esprits qui sentent le sortilège de la beauté.
- Pourtant mon compatriote Lautrec, en étant invité à
chanter une romance dans la fête de nuit à l´Alhambra, il ne chante pas
Grenade, mais la France.
Combien j´ai douce souvenance
Du joli lieu de ma naissance!
Ma soeur, qu´ils étaient beaux les jours
de France
O mon pays, sois mes amours
Toujours!
- Mais c´est normal, Mademoiselle. Ce n´était pas pour
la première fois que Lautrec visitait l´Alhambra; mais surtout votre
compatriote était exilé, et en exil on soupire toujours pour son pays. Que
voulez-vous, quoique disent certains antipatriotes théoriques, l´amour de la
patrie est aussi naturel que l´amour maternel. On aime son pays comme on aime
sa mère: par instinct et aveuglement. Et c´est surtout l´expatriation forcée
qui contribue à fortifier ce sentiment. Avant de me réfugier en France, j´étais
espagnol cent pour cent. Aujourd´hui je me sens espagnol mille pour
mille...
- Et moi aussi je me sens aujourd´hui plus française
qu´avant l´occupation de mon pays par les allemands. Ces quatre années
d´humiliation nationale ont exalté mon patriotisme. Si je n´aime pas du tout
les collaborateurs, ce n´est précisement pas pour leurs idées fascistes – je
m´en fiche de la politique -, mais parce qu´ils n´ont pas honte de tendre la
main et même de brosser l´uniforme aux envahisseurs, aux asservisseurs et aux
saccageurs de notre patrie...
- Bravo! Mademoiselle. Me permettez-vous de vous serrer
la main...?
- Avec plaisir.
- Mais, diable!, savez-vous que vous êtes également
aussi fougueuese que don Carlos et qu´Aben-Hamet...?
- Mais oui: en ce qui concerne l´amour de mon pays.
- Et pour le reste...?
Jacqueline minauda d´une manière délicieuse et ajouta
incontinent:
- Vous êtes trop curieux, Monsieur...
- Excusez-moi, Mademoiselle.
On fit une petite pause. J´offris à Jacqueline une
cigarette qu´elle refusa. Je l´allumai pour moi. Je repris par la suite:
- Connaissez-vous exactement le prix de la collaboration
franco-allemande...?
- Non.
- Prenez-en note, Mademoiselle. Le 31 Mars 1944, la
dette de l´Etat et de la Caisse Autonome d´Amortissement s´élevait déjà à la
somme fantastique de 1.401 milliards 533 millions de francs...! Ce sont
des chiffres officiels[1].
- Quelle atrocité!
- Seulement dans le premier trimestre de cette année,
c´est-à-dire, du 1 janvier au 31 mars, votre dette publique a augmenté de
68.033 millions de francs. Ajoutez encore celle du deuxième trimestre, qui est
en train d´expirer, et vous atteindrez bientôt – et vous ne vous y arrêterez
pas encore – les 1. 500 milliards...!!!
- Mais n´est-ce pas une blague, Monsieur...?
- Une blague, Mademoiselle...? Vous verrez la suite
après la guerre. Le lendemain de l´armistice, le fameux maire de Bordeaux
Adrien Marquet – un oiseau de proie très connu aussi dans le tripot élégant du
Grand Casino de St. Sébastien en Espagne – vous annonçait en pleurnichant par
la radio que vous étiez devenus plus pauvres que Job. Eh bien, après quatre
années de collaboration des Marquet et Compagnie, on ne vous a pas laissé même
la tuile avec laquelle Job nettoyait ses ulcères...
- C´est inouï.
- En effet, Mademoiselle; c´est inouï. Mais, tenez
compte que seulement les frais d´occupation vous coûtent chaque jour 400
millions de francs. Pourtant cela ne représente que la dépense de l´Etat. Si
vous y ajoutez le saccage des particuliers, c´est-à-dire, les réquisitions et
les rafles de toute classe, alors le calcul est impossible.
- Et nos aïeux se plaignaient amèrement de la guerre du
70...?
- Oui; le traité de Francfort vous imposa une indemnité
de guerre de cinq mille millions, à payer en trois ans. Cette fois vous payez
cinq mille millions chaque deux semaines, depuis quatre ans...!
- Si tous les français savaient cela...!
- Je pense qu´ils l´apprendrons et qu´ils commenceront à
s´acquitter de cette dette sur les biens des collaborateurs. Si j´avais le
pouvoir en France, l´affaire serait vite reglée: confiscation inmédiate des
biens de ceux qui ont fait des affaires avec les allemands et condamnation aux
travaux forcés à perpétuité...
- Mais en France il n´y a pas de politiques capables de
prendre des mesures si radicales...!
- Croyez-vous? Mais le “Nouvel Etat français” ne
s´est-il pas attaqué pendant quatre années aux biens et aux personnes des juifs
et des gaullistes, des francmaçons et des communistes...?
En tout cas, c´est une affaire qui ne me regarde pas.
Votre politique à vous, les français. Ce n´est pas moi qui payera vos
dettes...
- Laissons de côté ces choses tristes, voulez-vous?
Revenons encore au dernier Abencerage.
- C´est plus agréable.
- Les espagnols sont-ils pour la plupart aussi amoureux
que le maure Aben-Hamet...?
- En général, oui. Nous aimons et nous haïssons avec la
force de notre soleil.
- Haïr aussi...?
- Mais oui, Mademoiselle. Haïr est parfois un sentiment
aussi noble qu´aimer. Par exemple, je haïs cordialement les traîtres, les
oppresseurs et les goujats.
- Est-ce pour cela que vous haïssez le “Caudillo”...?
- Juste, Mademoiselle. Parce que la fameuse “libération
nationale” de Franco et de la bougeoisie réactionnaire de mon pays est
l´entreprise la plus répugnante de trahison, d´oppression et de goujaterie...
Mais ne revenons plus à la politique.
- C´est ça. Jouez-vous de la guitare, comme don Carlos?
- Non, Mademoiselle.
- Et claquez-vous les castagnettes...?
- Non plus.
- Mais du moins, vous aimez les corridas.
- Pas beaucoup.
- Dame! Je croyais que les espagnols savaient tous
courir un taureau, jouer de la guitare et claquer les castagnettes.
- Oh! non, Mademoiselle. C´est une opinion très répandue
en France: mais il n´y a rien de plus faux. Vos romanciers vous ont trompé très
littérairement. L´Espagne n´est pas un pays d´opérette, mais un pays européen
comme les autres. Naturellement nous avons notre caractère, nos moeurs et notre
mentalité à nous. Mais si vous allez un jour dans mon pays comme votre écrivain
Francis Carco, avec l´illusion de trouver partout des toréadors, des femmes en
mantille et des amoureux chantant des sérénades au son d´une guitare, votre
désenchantement sera complet. Nous ne sommes plus au siècle des abencerages,
comme vous n´êtes pas non plus au siècles des mignons...
- Pourtant vous avez toujours des toréadors, des
guitaristes et des danseuses gitanes.
- Ah! oui, comme vous avez des joueurs de boules, des
joueurs d´accordéon et des danseurs du genre apache... Chaque pays s´amuse
à sa façon.
- A Paris je vis danser une fois l´Argentine. C´était
quelqu´un cette femme-là.
- En effet, l´Argentine – de son vrai nom Antonia Mercé
– a été de notre temps l´interprète la plus géniale des dames classiques
espagnoles. Sa renommée était internationale. Elle mourut en 1936, juste à la
veille de notre guerre civile. Il se peut qu´en interprétant la “Danse rituelle
du feu” de Manuel de Falla, elle se sentit impuissante pour la première
fois, pour conjurer les mauvais esprits qui menaçaient de bouleverser notre
pays, et cassant pour jamais ses castagnettes, elle s´enfuit à l´au-delà, pour
ne pas contempler l´horrible spectable...
- Mon Dieu! Que vous avez une imagination débordante.
J´aimerais bien continuer encore notre agréable conversation, mais voyez.
Jacqueline me montra sa montre-bracelet. Il était vingt-deux heures moins le
quart.
- Il faut rentrer – acheva la jeune fille.
On
se leva. Le crépuscule était clair et brillant.
- Voulez-vous que je vous accompagne, Mademoiselle?
- J´aimerais bien, mais vous savez, je ne veux pas que
les pies jasent... Merci beaucoup.
Elle s´en alla. J´attendis un moment en la
contemplant.
Dans la butte sillonnée de vignes, Jacqueline se
perdit bientôt, comme une magnifique grappe d´or...
II
Je laissai passer trois jours avant de rencontrer à
nouveau Jacqueline. Je ne voulais pas non plus donner des prétextes aux
jasements des pies. Pas pour moi, c´est entendu: mais pour elle.
Je connaissais déjà la mentalité du village. Quelques
mois auparavant je m´étais lié d´amitié avec une famille de l´endroit. A la
maison il y avait une jeune fille très aimable. Eh bien, une semaine après, les
commères m´avaient déjà fiancé à elle. A la deuxième semaine, elles se mirent à
annoncer mon mariage. Et à la troisième...., à la troisième, je me décidai à
m´en ficher complètement de leurs bêtes bavardages.
J´eus le pressentiment qu´avec
Jacqueline il allait se passer bientôt pareil. Mais pour le moment, il fallait
ménager les scrupules de la jeune fille. Elle y verrait une preuve de
correction. D´autre part, c´était d´élémentaire astuce de me faire un petit peu
l´intéressant. Si je la rencontrais le lendemain, elle pourrait se figurer que
j´avais déjà perdu la tête. Et pour le moment ce n´était pas cela. Elle m´avait
simplement fait une impression très agréable. C´était tout et c´était assez. La
déception que j´avais redoutée, ne s´était pas produite. Le reste viendrait en
tout cas après. Il ne fallait pas se précipiter. Quand au quatrième jour, je la
retrouvai au même endroit, elle m´accueillit avec une visible complaisance.
- Je pensais que vous aviez quitté le pays.
- Pas encore, Mademoiselle.
- Mais... peut-on savoir ce que vous faites ici,
Monsieur? Bien entendu, si cela n´est une indiscrétion.
- Oh! pas du tout, Mademoiselle. Je ne fais ici que des
choses très inoffensives et surtout très spirituelles. Voyez: je pioche, je
pellète, je déblaye, je balaye, je débarde...
- Blaguez-vous...?
- Pas du tout, Mademoiselle.
- Mais vous n´avez pas du tout l´air d´un manoeuvre.
- Que non...? Voyez mes mains.
- Ta, ta! Ces callosités sont très récentes. Je pense
que ce sont les premières que vous avez eues dans la vie.
- Oh! non. J´en ai déjà eu en France plus d´une fois.
- Et en Espagne aussi...?
- Non. Jamais.
- Ah...! Et quelle était votre profession dans votre
pays...? Si cela n´est pas non plus une indiscrétion.
- Professeur de l´Enseignement secondaire.
- Et vous travaillez en France comme manoeuvre...! Mon
Dieu! quelle métamorphose...! Et n´êtes-vous pas très malheureux en menant
cette vie si peu conforme à vos aptitudes et à vos habitudes...?
- Bah! je prends la chose philosophiquement. Aux débuts,
en effet, je souffris terriblement. Je venais de sortir d´un camp de
concentration. J´en sortais extenué et on me mit à travailler par la suite
comme un forçat. Sous le régime le plus dur et le plus brutal. Justement ici,
dans ce département et dans ce canton. Il y a quatre ans.
- Mais, comment...? Avez-vous été interné et condamné
aux travaux forcés...?
- Condamné judiciairement, non.
- Et alors...?
- Alors, Mademoiselle, dans la France des Droits de
l´Homme, j´ai fait 16 mois de camp de concentration et 35 mois de travaux
forcés sans aucune sentence des tribunaux.
- Mais qu´aviez-vous fait pour cela, Monsieur...?
- Rien, Mademoiselle; rien que me battre pendant deux
années et demie en défense du Gouvernement légal de la République Espagnole
contre les rebelles fascistes et maures, et les envahisseurs allemands et
italiens.
- Et est-ce exclusivement pour cela que vous avez été
traité de cette façon...?
- Exclusivement pour cela, Mademoiselle. Mon casier
judiciaire est intact en Espagne et ici. Ma parole d´honneur.
- Mais cela est inoui...!
- Inoui...? Pas du tout, Mademoiselle. C´est le
traitement courant et le plus bénin, infligé depuis presque six ans à la
plupart des réfugiés antisfascistes espagnols. D´autres sauvagement torturés,
assassinés, déportés au Sahara ou livrés aux bourreaux de la Phalange
espagnole, pour être par la suite fusillés...
- Mais qui vous a fait toutes ces atrocités...? Les
Gouvernements des collaborateurs...?
- Oui: les Gouvernements de Petain et les gouvernements
de la République. Quand je fus interné pour la première fois dans un camp de
concentration et que je fus enrôlé pour la première fois dans une Compagnie de
Travaillerus, le président du Conseil de Ministres était un radical-socialiste
et un francmaçon. Il s´appelait Edouard Daladier. Et le ministre de l´Intérieur
était à son tour un autre radical-socialiste et un autre francmaçon. Il
s´appelait Albert Sarrant...
- Alors ce n´est pas physiquement, mais surtout
moralement que vous avez dû souffrir.
- Vous avez déviné, Mademoiselle. Nous avions été
toujours – moi comme tous les républicains espagnols – des amis sincères et
enthousiastes de la France. Imaginez notre désenchantement et notre tristesse,
en nous voyant traités sans acun motif de cette façon inhumaine.
Nous ne pouvions même pas soupçonner que pour le fait
d´avoir courageusement combattu, avec trois ans d´anticipation, les mêmes
ennemis qui allaient infligér à la France la plus affreuse humiliation de son
historie, nous serions traités par les républicains et les francmaçons français
comme les pires criminels...!
- Et nous gardez-vous rancune pour cela?
- D´abord, je haïs à mort et je haïrai jusqu´à la fin de
ma vie les lâches auteurs et executeurs de ces forfaits. Ceux-ci ont coûté la
vie à beaucoup de compatriotes et leur sang nous crie: Vengeance!
Mais je n´en veux pas du tout pour cela la France.
Heureusement la population civile nous a toujours traité partout avec beaucoup
plus d´humanité. Le pauvre peuple français a été enfin de compte victime,
lui-aussi, de la même clique d´éléments indésirables: les responsables de la
défaite de 1940 et les responsables du pillage national en collaboration de
1940 à 1944...
- Mais ne pouvez-vous pas retourner en Espagne...?
- Ah! Oui. Je serais là depuis longtemps, si j´avais
voulu.
- En liberté...?
- C´est entendu.
- Et pourquoi vous n´êtes pas rentré...?
Je crois que c´est préférable que de mener cette vie
peu agréable.
- Parce que je ne sais pas capituler, Mademoiselle. J´ai
lutté pendant 31 mois contre le fascisme les armes à la main et je ne
reconnaîtrai pas le régime ignominieux du “Caudillo” per omnia saecula
saeculorum... Nous allons jusqu´au bout, nous, les espagnols. Rappelez
l´observation de Chateaubriand: il faut que nous domptons la fortune ou que
nous soyons écrasés par elle... pour le moment j´en suis écrasé. Mais j´ai
l´espoir de la dompter encore, et sans tarder.
- Oui, mais en attendant, vous piochez...
- Et quoi...? Le travail manuel ne deshonore pas. Par
surcroît, il fortifie le corps et l´esprit.
- Mais en outre vous vivez comme un prolétaire.
- Et j´en suis fier, Mademoiselle. La pauvreté est une
école supérieure. Qui n´a pas passé par elle, ne connaîtra jamais la véritable
valeur de la vie.
- Pourtant ceux qui ont passé par elle, ne veulent plus
y retourner...
- Juste; mais ils ne regrettent pas le passage. On y
apprend beaucoup de choses. On y apprend surtout à ne pas craindre la pauvreté.
Combien de trahissons, de bassesses et de crimes fait commettre chaque jour la
peur de la pauvreté!
Pourtant
se trouve très souvent dans l´antichambre de la félicité. C´est le Christ qui
l´a dit: “Bienheureux les pauvres...”
- Oui, mais personne ne veut être de cette classe de
bienheureux. A commencer par les chrétiens les plus fervents...
- Cependant je puis vous assurer que c´est dans cette
situation que j´ai éprouvé plus d´une fois des moments de véritable félicité.
Celle-ci consiste essentiellement dans la satisfaction complète de soi-même. Et
bien, je puis vous confier qu´au bout de journées très dures et des
circonstances très difficiles, en me jetant à la nuit sur une misérable
paillasse, affamé, febrile et exténué, j´ai éprouvé dans moi-même plus d´une
fois cette satisfaction intérieure complète.
- Oui, mais non précisement pour la faim, pour la fièvre
et pour l´exténuation, mais parce que vous les aviez maîtrisés et surtout parce
que vous vous étiez tiré intacte de l´épreuve la foi qui vous anime. Vous avez
un idéal et c´est pour lui que vous consentez tous les sacrifices. Vous avez en
outre une espérance: celle de voir triompher bientôt cet idéal et c´est pour
elle que vous ne regardez pas les souffrances du combat. Supporteriez-vous
allégrement toutes ces épreuves sans savoir pourquoi...?
- En effet, Mademoiselle. Vous avez une pénétration
étonnante.
- Mais me permettez-vous de vous faire une remarque un
peu... cruelle...?
- Je vous en prie.
- Etes-vous bien sûr qu´à la fin de la guerre on ne
laissera pas tomber les républicains espagnols...? Franco ne bouge pas. Il a
même pactisé avec quelques alliés. Et les capitalistes étrangers qui ont
beacoup d´intérêts en Espagne, d´après ce que j´ai lu, continueront, bien sûr,
à l´appuyer.
- Mais, Mademoiselle: nous sommes le premier peuple
européen qui a osé faire face au fascisme. Nous nous sommes battus contre lui,
presque désarmés pendant deux années et demie. Avant qu´un Stalingrand, il y a
eu un Madrid. Après la défaite, on a organisé contre nous une repression qui
n´a d´exemple que dans les proscriptions de Sylla et dans les massacres de
Gengiskhan. Et malgré tout nous tenons encore; nous tenons toujours. Et
croyez-vous qu´après la guerre on peut nous laisser tranquillement tomber...?
Lorsque le monde entier s´est dressé contre le fascisme, croyez-vous possible
qu´on respecte à la fin de la lutte le spécimen fasciste le plus ciminel, le
plus rétrogade et le plus méprisable du continent européen...?
Cette manoeuvre répugnante, si jamais elle était
essayée, serait la dernière des vilenies. Elle souleverait immédiatement la
conscience de tous les hommes libres d´Europe. Sur les champs de bataille
d´Espagne fume encore le sang généreux des meilleurs combattants antifascistes
des Brigades Internationales: du député communiste du Reigstach, Hans Beile; du
lieutenant colonel italien Nino Manetti; de l´écrivain et général hongrois
Luckas, et tant d´autres. Non, Mademoiselle. On ne peut pas nous laisser
tomber. Et si quelques messieurs s´avisent en ce moment de perpétuer en Espagne
le sultanat de Franco et de la Phalange, pour des calculs financiers
inavouables, ils se trompent complètemnet. Le cas écheant, le peuple espagnol
se suffira à lui tout seul pour venir à bout des petits tyrans et des grands
calculateurs... Nous ne sommes pas des éunuques ni des esclaves.
- Ne vous exaltez pas, Monsieur. Je vous en prie. Je
n´ai pas voulu vous froisser.
- Oh! non, Mademoiselle. Excusez-moi. Mais croyez-vous
qu´en remarquant certaines attitudes un peu trop équivoques au courant de cette
guerre, je n´ai pas été assailli plus d´une fois par la même pensée...?
Mais c´est une pensée trop absurde. La fin de cette
guerre marquera en Europe un règlement de comptes général. Les manoeuvres
réactionnaires de l´autre post-guerre ne prospéreront plus. Nous avons bien
compris cette fois. Et les malandrins et les maladroits de 1918-1919 ne
gâcheront plus la transfortmation sociale du Continent. Le fascisme ne
voulait-il pas un ordre nouveau...? Il l´aura; mais non celui qu´il avait
pensé...
Mais laissons de côté ces questions. Le temps parlera.
C´est l´orateur le plus éloquent. Voulez-vous que nous fassions une petite
promenade?
- Je voudrais bien; mais...
Je dévinai:
- Toujours les pies...?
Jacqueline sourit. Puis elle ajouta:
- Dites-moi: en Espagne les pies sont aussi bavardes
qu´en France...?
- Oh! ce genre d´oiseaux est partout pareil et je dois
vous dire en honneur de la vérité que l´esprit public à la campagne est
beaucoup plus étroit en Espagne qu´en France.
- Et dans les villes...?
- Dans les villes il est à peu près comme ici. Mais,
vous savez, dans les villes comme dans les villages, la femme espagnole est
infiniment moins libre que la française. La femme française est l´égale de
l´homme; la femme espagnole, non.
- Mais c´est vous qui maintenez les femmes dans ce plan
d´infériorité.
- Pas nous précisement. C´est le milieu; c´est
l´éducation; ce sont les préjugés; c´est l´atavisme musulman et l´influence
catholique.
En tout cas, en compensation, la femme espagnole est
mieux protégée juridiquement que la française.
- Comment!
- Mais oui, Mademoiselle. Vous vivez encore en grande
partie sous le régime juridique du Code Napoleon: un code ayant été inspiré par
un despote et par un mari trompé, ne pouvait pas être très favorable aux
femmes. Dans la vie publique vous n´avez aucune ingérence légale; et dans la
vie domestique, en vous mariant, vous commencez par perdre même votre nom de
famille.
- Est-ce qu´en Espagne les femmes mariées conservent
toujours leur nom de jeunes filles?
- Oui, Mademoiselle; et les enfants portent toujours
deux noms: celui du père et celui de la mère.
- C´est curieux. Ont-elles aussi le droit de suffrage?
- Exactement comme les hommes, et elles peuvent aussi
devenir députés et ministres.
Dans la dernière législature de la République
Espagnole, le chef de la minorité communiste à la Chambre des Députés était une
femme: Dolores Ibarruri, la célèbre “Pasionaria”, calomniée de la façon la plus
vile par tous les reptiles de la presse réactionnaire française. Pendant la
guerre civile nous avons eu aussi une femme ministre: l´écrivain libertaire
Federica Montseny.
Bien entendu, ce sont des avantages accordés à la
femme par nous, les républicains. Autrefois, avec la Monarchie, et à présent,
avec Franco, la chose n´est pas pareille.
Voyez un exemple qui va vous cabrer. Dans le code
penal de la Monarchie, il y avait un article qui permettait au mari de tuer
impunément sa femme, surprise en adultère flagrant.
- Quelle barbarie! Et si la femme surprenait son mari
dans le même cas, avait-elle le droit de le tuer à son tour...?
- Ah! non.
- Jolie justice...!
- Naturellement nous avons effacé cet article ignominieux.
- Somme toute, entre la protection légale de la femme
espagnole et la liberté réelle de la femme française, j´opte pour la deuxième.
- Je comprends. D´autre part, est-ce que vous avez
besoin en France des droits politiques des femmes espagnoles? Pas du tout.
D´ordinaire, vous commandez en France les hommes qui vous commandent...
- C´est ça.
- Parce que vous valez, en général, autant ou davantage
que la plupart de vos hommes.
- Vous êtes très galant, Monsieur.
- Ah! ce n´est pas de la galanterie, Mademoiselle, mais
de la justice. Je vous parle avec toute objectivité. Une des choses qui me
frappèrent, d´abord, lorsque je commençai à connaître un peu la culture et la
vie française, fut la personnalité remarquable de la femme. Dans la
Littérature, dans la Peinture, dans la Musique, dans le Théâtre, dans la
Religion, dans la Politique, dans la Vie Sociale, dans la Guerre même, vous
possédez une galerie de femmes illustres comme aucun autre peuple au monde. Il
n´y a jamais eu en France un mouvement d´envergure, quoi qu´il en soit, qui
n´ait pas mis en avant le nom d´une femme; qu´elle s´appelle Jeanne d´Arc ou
Madame Roland, Marie de France ou Berthe Morisot, Hersande de Champagne ou
Germaine Taillefer...
La
civilisation espagnole est une oeuvre presqu´exclusivement masculine. La
civilisation française doit autant aux femmes qu´aux hommes.
- Merci bien, Monsieur.
- Pas de quoi, Mademoiselle. Je ne fais que constater
une réalité.
Je vais vous ajouter une autre remarque qui n´est pas
du tout aussi flatteuse. Les principaux défauts de la Nation française:
légéreté, vanité et manque de caractère sont des défauts spécifiquement
féminins. La France les doit à cette influence préponderante de ses femmes.
- Croyez-vous?
- C´est mon avis personnel. Peut-être je me trompe. Mais
je crois que non.
- Qui sait!
Alors ne voudriez-vous pas que la femme espagnole
atteigne le niveau de la française...?
- Au point de vue culturel, si. Pour ce qui est de
l´influence sociale, non.
- Pourquoi? L´un est conséquence de l´autre.
- Me permettez-vous de vous dire encore une vérité très
peu flatteuse...?
- Soit.
- Parce que l´élément féminin est en principe un élément
de corruption.
- Dame!
- Mais oui, Mademoiselle. L´homme agit en principe par
réflexion; la femme, par impulsion. Et les impulsions ne suivent pas
d´ordinaire la route royale de la raison, mais les sentiers dévoyés du caprice.
Adam perdit le paradis pour condescendre à un caprice de sa femme.
- Diable! allez-vous argumenter avec la vieille
historiette du Genèse...?
- Et pourquoi pas, Mademoiselle? Cette vieillle
historiette est un symbole. Les sociétés, conduites par les caprices des
femmes, sont vouées irremédiablement à la corruption, à la décadence et à la
ruine. Consultez votre propre histoire.
- Et que serait-il arrivé, Monsieur, si Adam s´était
refusé à mordre la pomme...? Sa société conyugale avec Eve aurait-elle marché
un peu mieux...?
- Ah! je ne sais pas. Demandez-lui à Jehovah,
Mademoiselle...
Jacqueline se mit à rire. Je l´imitai. C´était déjà
l´heure de partir. On se dit adieu et on se serra la main cordialement. La
jeune fille était véritablement jolie avec sa blouse blanche et sa jupe bleue
de France. En la voyant s´éloigner d´un pas nonchalant, je pensai que, malgré
tout, si elle avait été notre mère Eve et que je m´étais trouvé avec elle dans
les jardins de l´Eden, j´aurais agi probablement comme Adam...
LEVER
DE SOLEIL SUR LA LOIRE
A Madame Ivonne
Rechel
Saumur,
le 15 décembre 1944
Si
vous voulez jouir à Saumur d´un spectacle naturel ravissant, quittez
de bonne heure votre lit et allez voir le soleil sur la lame coulante
de la Loire.[1]
Pendant
l´automne 1944, j´avais le plaisir d´en jouir presque tous
les matins; c´est-à-dire, les matins pas couverts. Je dois ajouter
en honneur de la vérité que je ne quittais nullement ma couche à
l´aurore par pur romantisme, mais hélas! obligé par le plus vulgaire
prosaïsme. “In sudore vultuus tui vesceris pane...”[2] Voilà.
Alors
je travaillais au quartier des Ponts; c´est-à-dire, entre les
deux bras de la Loire. Justement dans l´ancienne Ile d´Or. A côté de
la maison de la Reine Yolande d´Anjou.
De
la maison..?
“Bien
plus qu´une maison, vous êtes un autel, Palais de l´Ile d´Or...”, a
chanté une illustre écrivain. [3]
Mais
oui: palais et autel à la fois. Palais de la Duchesse la plus insigne de
l´Anjou; autel de la sainte la plus vénérable de la France.
C´est
juste de cet endroit, à savoir de la gorge de la rue Montcel, qu´on
est le mieux placé pour contempler les levers de soleil. Du moins aux aurores
automnales.
La
nostalgie du soleil d´Espagne prenant certainement plus d´une
fois la Reine des Siècles, celle-ci sut bien choisir à ce sujet
l´emplacement de sa demeure. Le nom sonore d´Ile d´Or fut-il jadis donné à ce
parage, à cause de l´or solaire qui l´inonde aux levers diaphanes..?
Il n´est pas improbable.
J´aime
passionnément les levers de soleil. Ils comptent parmi
les spectacles les plus beaux de la Nature. Et j´aime spécialement
les levers de l´automne. Pourquoi? Parce que ceux-ci sont non
seulement beaux, mais en outre touchants. Ils traduisent dans leurs
teintes la froideur de la saison et la tristesse des paysages.
Surtout les levers de soleil aux bords de la mer ou des grandes
rivières. Ils me font toujours l´impression que l´Astre-Roi a pris, avant de
sortir, un bain tiède de Mélancolie. La brume qui les
accompagne très souvent, accentue encore cette expression touchante.
On dirait le châle transparent recouvrant les épaules d´une belle
souffrante. Et bien, la Terre aux levers de soleil n´est-elle pas en réalité
une frêle accouchée..?
Voyez
pourquoi les levers de Soleil sur la Loire me saisissaient toujours
profondément. Ajoutez que l´état déprimé de mon esprit, après
six années d´esclavage et d´exil, et le panorama sinistre des
quartiers saumurois de la rive droite, tout à fait en ruines,
contribuaient déjà très largement à me rendre mélancolique le paysage.
L´un
de ces levers de soleil automnaux me fit particulièrement impression:
celui du 8 décembre. Je m´en souviens parfaitement. Le ciel parut ce
matin habillé de blanc et bleu, comme la fête religieuse de
la journée. Etait-ce un hommage de la Nature à la Vierge Immaculée..?
Au-dessous
du Viaduc on apercevait un amas de nuages, ayant la forme d´un
escabeau. Cet amas se mit tout d´abord à rougir; puis, à
jaunir, comme les flammes d´un immense incendie. Le soleil
commença par la suite à se lever sur l´horizon, comme une hostie d´or.
Cette
élévation quotidienne du roi des astres n´est-elle pas aussi
une mystique offrande..?
La
voûte céleste miroitait en ce moment comme un manteau
d´azur, constellé de topazes. Et sur la Loire ruisselait la lumière,
ainsi qu´une cascade pétillante de perles.
Quand
le Soleil finit enfin de sortir de la Terre, il se pencha sur
le balcon du Viaduc et à l´égal d´une belle coquette, il se regarda
avec volupté dans les eaux de la rivière. Il était, certes, beau, ce
matin-là, comme un Apollon chatoyant.
Et
quoi? Apollon n´est-il pas à la fois le dieu de la Beauté, de la
Poésie et du Soleil..?
Exalté
par l´éblouissante féerie, je me plongeai dans une étrange rêverie.
C´était
un autre lever de soleil sur la Loire. Dans ce même parage, mais
il y a 515 ans. Une jeune fille grande et belle s´acheminait petit à
petit vers le Palais. Celui-ci n´offrait pas, c´est entendu,
l´aspect délabré d´aujourd´hui. Il venait à peine de sortir ... et
beau des mains d´André Levesque, maître d´oeuvres du Roi René. Aucun
bâtiment ne lui faisait ombrage. La rue Montzol n´était à cette
époque qu´un petit bras de la rivière: le bras du Moulin-Pendu. Sous
l´illumination du soleil levant, le petit palais pétillait en ce
moment comme une aurore boréale. Ses rayons incendiaient les
gracieuses croisées…de moulures, irisaient les choux rampants de son joli
pignon et éclairaient le minois infantile de la petite vierge de la porte. Sur
l´écusson avec l´ordre du Croissant éclatait la devise galante du
Roi René, composée en honneur d´Isabelle de Lorraine: “Dévot lui
suis.”
La
jeune fille grande et belle venait ce matin visiter dans ce logis
sa maîtresse la Reine de Sicile. Les deux femmes illustres
–l´ancienne bergère de Douzeny et l´ancienne princesse de Saragosse
–formaient en ce moment un complot grandiose: celui de transformer
un pays envahi, divisé et appauvri en une nation libre, unie et fleurissante.
Ce pays était la France.
Ce
matin printanier de 1429 le soleil sortait aussi d´un grand escabeau en flammes
et s´élevait comme une hostie d´or sur la lune coulante de la Loire.
C´était
un symbole. Le symbole de la vie et de l´oeuvre qu´allait accomplir
à court délai cette jeune fille grande et belle. Celle-ci en
eut soudainement l´intuition et s´arrêta avec émotion pendant
quelque temps pour contempler le spectacle. Ses yeux brillants d´illuminée se
mouillèrent d´une petite larme.
Mais
oui: remontant le cours de la Loire, un autre soleil d´or
allait briller bientôt sur l´horizon: celui de la Libération de la
France.
Malheureusement
pour la jeune fille, ce soleil surgirait lui-même d´un autre escabeau en
flammes: le sinistre bûcher de Rouen, dressé pour l´héroïne
nationale par les occupants et les collaborateurs de 1431...
Justement
comme l´escabeau sanglant des martyrs de la Résistance sur lequel
s´élevait à nouveau le soleil de la Liberté française ce blanc
et bleu 8 Décembre 1944...
L´ANGE DE L´ABSENT
A Jacquot Guillemet
Saumur, 24 de
diciembre de 1944
Une fois…
C´était un enfant
mignon et sage comme toi.
Il s´appelait
Janot.
Et il avait la peau
rose et les cheveux blonds.
Il était fin comme
un bibelot et inquiet comme un oiseau.
Et il aimait
gambader et rire et s´amuser.
Et il aimait
notamment se moquer.
Il était fragile
comme une poupée et bavard comme un perroquet.
Il était adoré par
ses parents et gâté par ses aïeuls.
Ils lui apportaient
souvent des bonbons et des jouets.
Et il était heureux
comme un petit prince royal.
A son tour il
faisait le bonheur de ses parents.
C´était une belle
et calme et heureuse maison que celle du petit enfant Janot.
Mais un jour…
Des événements
graves troublèrent le pays et des hommes méchants enlevèrent le père du petit.
La maman et les
aïeuls perdirent toute trace du papa et tombèrent dans l´angoisse la plus
poignarde.
Qu´était-il devenu,
le disparu..?
Mystère…
Mystère inquiétant…
La joie et la
tranquillité quittèrent par la suite la maison.
Et la tristesse et
l´anxiété commencèrent à ronger la maman et les aïeuls.
Cependant pour ne
pas faire de la peine à l´enfant, ils le dissimulaient toujours en sa présence.
Parfois leur cœur
sanglotait et leurs lèvres ébauchaient des sourires… amers.
Cette année la Noël
arriva comme toujours avec son émotion familiale, faite de joie et d´amour.
Toutefois la soirée
ne fut plus cette fois une fête, mais une nostalgique et navrante veillée.
L´ombre de
l´Absent, plongé dans le mystère planait incessamment au-dessus de leurs têtes.
La mère et les
aïeuls beaucoup plus que jamais regrettèrent à table le manque d´un couvert.
Malgré son
inconscience, le petit lui aussi n´avait pas l´allégresse des Noëls de jadis.
Est-ce qu´il
remarquait également l´absence de papa…?
Malgré tout quand
il se fut couché, il se mit à songer à Noël.
Le vieillard à la
barbe de neige vint bientôt au rendez-vous du rêve.
Mais il arriva
cette fois, accompagné d´un brillant camarade.
Celui-ci était beau
comme un archange et caressa l´enfant avec une tendresse immense.
Devines-tu,
Jacquot, qui était-il… ?
Mais oui, petit
ami.
C´était l´ange du
père de Janot, envoyé cette nuit par celui-ci, embrasser son enfant sage et
mignon.
[1] Un remarquable historien de l´art, L. Courajod,
a écrit sur la valeur esthétique des paysages de la Loire la page suivante: “Le
paysage de la Loire est, surtout dans le voisinage des villes, d´un
grand effet et d´un grand style à cause de sa vaste et profonde ceinture des
collines et des longues lignes horizontales, des levées, des bancs de sable et
des quais. Il y a, dans ses perspectives, une
combinaison harmonieuse et une note dominante de lignes horizontales
qui reposent l´esprit; en même temps, un sentiment de paresse se
dégage des eaux, en apparence épuisée , qui glissent plutôt qu´elles ne roulent
sur un lit sablonneux affectant les allures d´un estuaire et donnant
à l´imagination l´impression mélancolique d´une grève abandonnée par
la marée. La Loire c´est presque un fleuve italien. A la tombée de la nuit et
au lever du soleil, le paysage de la Loire a vraiment une
tournure héroïque, mais d´un héroïsme sans violence, d´une largeur
adoucie, amollie, détendue.” Louis Courajod, Origines de l´Art
roman et gothique, de la Renaissance et moderne.
Les appréciations
esthétiques valent spécialement pour le paysage de la Loire
à Saumur. Ardouin-Dumazet a remarqué très justement: “De
toutes les cités riveraines de la Loire, Saumur présente sur le fleuve
le plus grandiose aspect. Vue des ponts, Saumur, avec ses quais
bordés de belles maisons, ses collines abruptes, sur lesquelles se
dresse le château, est véritablement superbe.” Ardouin-Dumazet, Voyage
en France. 56è série. Touraine et Anjou, ch. XXIV. Berger. Levrault, Paris,
1910.
[3] “Au Palais de l´Ile d´Or”, poème par
Jehanne d´Orbiac. Voir le Bulletin de la Société des Lettres, Sciences et Arts
du Saumurois”, nº 86, Octobre 1938.
AVEC FIGARO CHEZ
LUCIEN
Saumur, le 31
décembre 1944
A l´angle de la rue
d´Orleans et de la rue Beaurepaire à SAUMUR, il y a un établissement peint en
vert et noir dont l´enseigne annonce: “Coiffeur – Lucien – Dames – Messieurs.”
C´est là que j´allais me faire couper les cheveux, lorsque j´habitais la ville. Je
tenais à cet établissement, non précisément pour des considérations d´ordre
professionnel, mais d´ordre sentimental. Là il y avait un brave garçon
avec lequel je m´étais lié d´une franche amitié, depuis que nous avions
travaillé ensemble à la Perrière pendant l´hiver et le
printemps 1944.
Comme
tant d´autres saumurois, il avait dû abandonner provisoirement sa place, afin
de ne pas être envoyé en Allemagne. Mais quand il n´eut plus besoin de se
camoufler, il rentra chez Lucien.
La
boutique de ce coiffeur Saumurois bat le record de l´utilisation de l´espace
vital. Dans un rez-de-chaussée relativement réduit, il a installé un salon de
dames, un autre de Messieurs, un rayon d´articles de toilette, le comptoir et
l´arrière boutique. Il ne lui manque qu´un fumoir pour les hommes et un parloir
pour les femmes...
Une
fois, je dus y attendre environ une heure. C´était à la veille de la
Noël. Trois Messieurs et deux garçons attendaient devant moi. On
s´occupait pour le moment de deux autres clients. Personne ne disait mot.
C´était le silence absolu.
En
Espagne il n´est pas d´ordinaire fastidieux d´attendre son tour chez les
coiffeurs. Ces attentes sont généralement agréables et parfois très
animées. Les clients discutent de politique, de “corridas” ou de football.
Les
“barberías” et les “peluquerías” espagnoles ressemblent un peu
sous cet aspect aux boutiques des “Kouroi” grecs et aux “tonstrinae” des
“tonsores” romains.
Mais
en France pas du tout. Ici les salons des coiffeurs sont comme des temples. Les
clients font la queue en silence devant le fauteuil tournant, comme les
pénitents devant le confessionnal. Les uns attendent qu´on leur nettoie la
figure; les autres, l´âme. Malheureusement pour la clientèle, les poils comme
les péchés poussent bientôt de plus belle...
Bien
entendu, dans le salon voisin des femmes ce n´est pas du tout pareil. Les
femmes sont bavardes et jaseuses sous toutes les latitudes et sous toutes les
longitudes du globe terrestre.
Pour
comble de mauvaise chance, il n´y avait ce jour-là chez Lucien même pas un
journal, même pas une ancienne revue pour se distraire. Alors, ne sachant
comment passer le temps, je me décidai à invoquer, en attendant, l´esprit de
Figaro.
Beaumarchais[1] ne
nous a pas dit si Figaro s´était adonné quelquefois à l´occultisme; mais comme
il nous assure que son héros avait “tout vu, tout fait, tout usé”, il
n´est pas impossible qu´il ait été initié aux secrets du comte de Cagliosto et
du comte de Saint-Germain.
Quoiqu´il
en soit, Figaro se rendit à mon appel. Et il se présenta devant moi avec son
habit classique de “majo” de Goya. Comme dans les incarnations des
séances spirites. Mais, il n´était visible que pour moi.
Je
l´abordai sans façon:
- Hola! Cher compatriote, comment va?
- Tiens! Espagnol…?
- Mais oui. Et par surcroît, ton homonyme.
- Et Sévillan aussi...?[2]
- Non, madrilène.
- Et que fais-tu ici?
- Regarde. Pour le moment j´attends mon tour.
A propos, n´as-tu
pas tes ciseaux?
- Non.
- Que c´est dommage!
- Pourquoi?
- Parce qu´alors je n´aurais pas à attendre ici
davantage.
- Dame! Est-ce tout ce que tu veux de moi?
- Oh! non, cher Figaro. Il s´agit simplement de
bavarder un peu pendant ce temps d´attente. Tu vois qu´ici c´est la morgue.
- Volontiers, mon ami.
- Si tu étais barbier en exercice, sais-tu ce que je te
demanderais d´abord?
- Quoi?
- D´ aller trancher la gorge à Franco.
- Sapristi!
- Bah! 99% des espagnols t´acclameraient.
- Oui, mais la Phalange m´égorgerait ensuite.
- Et toi que fais-tu à présent dans l´au-delà..?
- Moi? L´épuration.
- Sans blague.
- Mais oui, mon cher. C´est pour le compte du Père
Eternel. Il m´a chargé de tondre et de raser jusqu´à nouvel ordre tous ceux qui
frappent à la porte des cieux. Il a appris que certains collaborateurs laissent
pousser leur barbe et leurs cheveux pour se déguiser en poilus et il veut
empêcher à tout prix qu´aucun de ces oiseaux ne se glisse à la dérobée dans le
Paradis.
- Caramba!
- “Je ne veux pas les voir ici – a-t-il dit
d´un air fâché à Saint-Pierre. Renvoyez-les à Petain ou expédiez-les en Enfer…”
- “Même s´ils arrivent munis de tous les saints
sacrements..?”, a observé timidement le Concierge du Ciel.
- “Même s´ils ne présentent avec l´absoute du Père
Mayol…”[3]
- Mon vieux, sais-tu que tu as fait carrière à la Cour
céleste, toi…?
- Que veux-tu? Sur la terre aussi nous étions parfois
quelqu´un, nous autres les barbiers. Rappelle-toi Olivier le Daim.
- Je crois qu´il vaut mieux de ne pas le rappeler...
- Pourquoi?
- Ne connais-tu pas sa mauvaise réputation? Lis les
historiens français: “exécuteur des basses besognes du gouvernement, agent
provocateur, espion et au besoin bourreau, enrichi en trafiquant de son crédit,
en rançonnant les villes, les abbayes, les particuliers et en volant
l´opulentes successions…”[4] Voilà le panégyrique que font les
français du fameux barbier de Louis XI.
- Ta, ta! Et crois-tu que le Roi et tous ses autres
ministres et courtisans étaient des modèles de moralité...?
- Certes, non.
- Alors...
- Alors penses-tu qu´Olivier le Mauvais – c´est ainsi
que le peuple le surnomait – fut un barbier qui honore la profession…?
- Nullement.
- Alors ça va. Oublions-le.
- Comme tu voudras.
- Dis-moi, Figaro: et ta Suzette comment va-t-elle?
- Très bien.
- Et continue-t-elle à t´être fidèle..?
- Bien entendu.
- Comment! Bien entendu... As-tu déjà oublié le
commencement de ton célèbre monologue..?
- “O femme, femme, femme! Créature faible et
décevante..! Nul animal créé ne peut manquer à son instinct; le tien
est-il donc de tromper..?”
- Mais ma femme est un animal –pardon!- c´est une femme
à part. N´oublie pas qu´elle s´appelle Suzanne. Et pour cause.
- Je comprends. Tu veux dire qu´elle est aussi chaste
que la fameuse jeune femme de la Bible...
- C´est ça.
- Mais... ne connais-tu pas encore le secret de la
chaste Suzanne…? (De celle du livre de Daniel, bien entendu; pas de celle
de l´opérette...)
- Oh! non.
- Mais c´est très simple. Elle se refuse aux deux
vieillards parce qu´étant une femme très riche et très gâtée et aimée par son
mari, elle n´avait pas besoin de la “protection” d´un vieil “ami”. Si
elle avait été la femme d´un barbier, penses-tu qu´elle se serait refusée aux
juges d´Israël…?
- Bon, bon. Ne ris pas aux dépens de ma femme, ou je me
fâche.
- Mon vieux, tu n´“encaisses” plus comme au temps
du Comte d´Almaviva.
- Naturellement! Tu oublies que je ne suis plus un valet
terrestre, mais un courtisan du royaume des cieux.
- A vos pieds, mon bienheureux...
Mais, permets-moi de continuer à te traiter en ancien habitant de la Terre.
- Volontiers.
- A propos, il y a une chose que je n´ai jamais
comprise, chez Figaro; à savoir, qu´un homme de ta valeur se contentât sur
cette planète de l´humble métier de barbier, fut-ce d´un grand d´Espagne. Pourqoui
ne te fis-tu pas au moins coiffeur pour dames...? Avec ton esprit, ta
jeunesse et ton élégance, tu serais devenu plus célèbre que Legros et
Champagne.
- Plus célèbre...? Mais je le suis davantage. Tu veux
dire sans doute plus riche et plus honoré.
- C´est ça.
- Mais en Espagne...? Oh-là-là!
- En effet, il aurait fallu pour cela qu´au lieu de te
résigner à végéter dans notre pays où les hommes sont tout et les femmes rien,
tu te sois établi ici, où les femmes sont tout et les hommes fréquemment
presque rien...
- Tu as raison. C´est un tort que je ne saurai jamais
pardonner à mon maître Beaumarchais. D´autant plus qu´il connaissait un peu
notre pays.
- Te souviens-tu du voyage qu´il fit en 1764 à Madrid?
Il arriva avec un tas de projets bizarres qu´il ne put réaliser.
- Mais oui; par exemple celui de mettre l´Espagne sous
la tutelle de la France en procurant une maîtresse à Charles III.
- Ah! connais-tu aussi cette histoire...?
- En effet.
- Ce que tu ignores peut-être, est que non seulement il
ne prit pas au piège le Roi d´Espagne, mais c´est une soeur de Beaumarchais
lui-même, Marie-Louise Caron, qui fut compromise et “plaquée” par un
homme de lettres espagnol: don José Clavijo.
- C´est curieux. Mais qui inspira à Beaumarchais
l´idée bizarre d´aller en Espagne avec la prétention que Doña Elivra
l´emporterait sur Don Juan...?
- Je ne sais pas.
Mais revenons aux
coiffeurs pour dames.
- Volontiers. A propos, dis-moi, cher compatriote:
est-ce que cette affaire continue à être aussi bonne qu´à mon époque?
- Encore bien plus. Remarque seulement ce détail: à
Saumur –petite ville de quelque 16.000 habitants– il y a 18 coiffeurs et
coiffeuses pour Dames à peu près.
- Diable!
- C´est naturel. Tu sais, dans ton temps, ce
n´étaient que les femmes de l´aristrocratie et de la haute bourgeoisie qui se
permettaient le luxe de se faire coiffer par des maîtres de la profession,
tandis qu´à présent, l´ouvrière la plus modeste et la moins coquette –et à
Saumur les ouvrières et les bourgeoises sont assez conquettes– se fait faire
une permanente.
- Et c´est normal.
- Sans doute. Est-ce qu´une femme utile n´a pas au moins
le même droit de se coiffer et de s´embellir qu´une poupée vaine et inutile..?
- C´est entendu.
- De toute façon, veux-tu te rendre compte, cher Figaro,
de ce qu´est à présent cette affaire...? Lis cette affiche collée au mur:
“Hommes – coupe, 10
francs – Barbe, 5.
Friction: de 20 à
30 francs.
Une misère,
n´est-ce pas?
Et remarque que la
plupart des hommes ne dépensent même pas un sou en frictions.
Et bien, passe un
moment au salon d´à côté et tu verras la pile de monnaie.
“Une permanente
avec les suppléments (schampoing, friction, teinture, etc.) 350 francs.
Une permanente sans
teinture, 275 francs.
Une mise en plis,
50 francs.
Une ondulation, 25
Frs.
Manucure, 15 Frs.
Pédicure, 15 Frs.
Et
tient compte qu´à Saumur même –o ne connaît pas les hétaïres de luxe– il y a
des femmes qui visitent leur coiffeur trois ou quatre fois par semaine...
-
Caramba! Réellement c´est une affaire ruineuse que celle de composer
la tête d´une femme.
- Et souvent, impossible. Tu sais, la tête de la
femme est comme une montre jolie et folle, qui marche toujours mal,
quoiqu´on y fasse... Ou qui ne marche pas du tout.
- C´est ça.
- C´est pourquoi elles arrivent toujours en retard aux
rendez-vous.
- Sans doute.
- Mais oui. Et c´est pour la même raison que la coiffure
a toujours été leur préoccupation principale. A force de se mettre des crèmes,
des poudres, des parfums, des teintures, des postiches, des épingles, des
peignes, des filets, des chapeaux..., et de se faire des tresses, des nattes,
des boucles, des mèches, des cignons..., elles essayent de nous faire oublier
qu´au dedans c´est le creux...
- Le creux...? Mais non: Chaque femme loge dans sa tête
un petit démon qui ne pense qu´à taquiner les hommes.
- Certes. Et quelques-uns, une assemblée...
- Le plus surprenant est la docilité et la patience avec
lesquelles, les femmes, d´ordinaire si indociles et si impatientes, livrent
leur tête aux mains de leurs coiffeurs. Sais-tu combien dure à peu près la
préparation d´une permanente…? Quatre heures! Et une mise en pli…? Une
heure et demie! Et une ondulation.... ? Trois quarts d´heure..!
- Pourtant ce n´est rien, cher ami, à côté de ce
que les femmes aristocratiques de mon époque enduraient stoïquement pour se
coiffer à la mode.
- Stoïquement..?
- Mais oui. Notamment ici, en France. Tu sais,
c´était alors la vogue des coiffures monumentales. Jean-Léonard Autié, coiffeur
de la Dauphine Marie-Antoinette venait de lancer les “poufs au sentiment.”
Pour t´en faire une idée, imagine-toi sur la tête d´une femme un véritable
monument d´architecture, dressé avec des objets les plus divers se rapportant à
ce qu´elle aime le plus. C´était un “pouf au sentiment”. On voyait dans
les “poufs” toutes les bizarreries. Les femmes tendres nichaient dans leurs
cheveux des essaims d´amours et des roses maintenues fraîches au moyen de
petites fioles remplies d´eau. Les femmes d´officier portaient des escadrons
perchés sur leur toupet, etc., etc.
Faute
de presse, l´évèment du jour paraissait infailliblement sur les têtes des
élégantes. Quand en 1775 éclata la guerre de l´Indépendance Américaine, on
mit à la mode la coiffure aux “Insurgés”, et quand le 17 Juin 1778, la frégate
française “La Belle Poule” soutint un combat victorieux contre la
frégate anglaise “Aréthuse”, à 11 milles de Roscoff, les dames de Versailles se
coiffèrent le lendemain à la “frégate.”
- Formidable!
- Naturellement avec des têtes d´insurgées et en régate,
la guerrre ne tarda pas à éclater entre les coquettes, et le désir d´épater les
ennemies multiplia bientôt les “poufs” jusqu´à l´infini. Toutes les femmes
voulaient avoir leur “pouf” particulier, et l´une se faisait coiffer à la
“Junon”, l´autre en “Parc Anglais”; celle-ci en “Moulin-à-vent”, celle-là, en
“chien couchant”; telle autre à la “Fanfan” ou à la “Gondole” ou en “Asperge”
ou au “Vol d´amour” ou aux “Sentiments repliés” ou à je ne sais quelle autre
fantaisie.
- Eh bien, imagine-toi ce que la préparation de ces coifffures
devait coûter de temps, de patience et d´argent.
- Sans doute.
- Pourtant les femmes non contentes de supporter deux
heures durant le supplice des “petits fers à friser” et de subir
l´opération de “deux mille papillons”, beaucoup ne pouvant pas avoir leur
coiffeur favori le jour même d´un bal ou d´une assemblée, se faisaient coiffer
dès la veille, et pour ne pas gâter l´édifice, elles passaient héroïquement
toute la nuit assises sur un fauteuil.
- Le comble!
- La mode ayant mis en faveur à la même époque les
voitures à l´anglaise qui étaient très basses, les dames coiffées de ces
monuments étaient obligées d´entrer dans leurs carrosses à genoux...
- Epatant!
- D´autres firent agrandir les portes de leurs maisons,
pour pénétrer aisément, sans endommager leur “Pouf”...
- Roulant! Tordant! Désopilant!
Mais n´exagères-tu
pas un peu, cher Figaro?
- Pas du tout. Tiens compte que certaines de ces
coiffures avaient jusqu´à 72 pouces de haut; c´est-à-dire, 1´80 m. depuis la
base du menton.
- Comme au temps des hennins.
- C´est ça.
- Que veux-tu? Pour être à la mode, les femmes élégantes
sont capables de toutes les bêtises, de tous les sacrifices et de toutes les
extravagances.
- A propos, que fait cette jeune fille assise à côté de
la porte, avec ce casque de “tommy” sur la tête…?
- Mais ce n´est pas un casque de “tommy”, mon cher;
c´est l´armet de Mambrin...
- Ah, ah, ah! Si don Quichotte paraissait en ce
moment...
- Pensez-tu qu´elle courrait comme le barbier...? Pas
du tout. Elle accepterait courageusement le combat pour défendre sa permanente.
- Alors c´est la garde de sa permanente qu´elle monte en
ce moment avec ce casque.
- En effet, elle la sèche et ce casque est justement le
séchoir, un appareil électrique qui bourdonne comme un essaim d´abeilles.
- Et combien de temps reste-t-elle dans cette posture..?
- 35 minutes à peu près.
- 35 minutes..?
- Mais oui, mon cher. Que veux-tu? Les femmes sont
ainsi.
Allez! Essayez de
parler à une demoiselle “zazou” d´une affaire sérieuse pendant 35 minutes. Tout
d´abord, elle se mettra infalliblement à baîller; puis, quand vous serez parti,
elle dira à ses camarades que vous êtes un lourdaud insupportable... Cependant
la voilà supportant tranquillement pendant 35 minutes cette musique
étourdissante.
- Bah! La logique n´a jamais été une science féminine.
- Mais est-ce qu´il y a des sciences féminines...? Les
femmes ne comprennent d´ordinaire que les arts, et pour la plupart, seulement
les arts d´agrément.
- A propos, j´ai eu l´autre jour au ciel, une dispute
curieuse avec un photographe un peu prétentieux. Tu sais, il voulait me
convaincre que la photogaphie est un art et que la coiffure n´est qu´un simple
métier. Qu´en penses-tu…?
- Je pense, tout d´abord, que la question posée dans
cess termes généraux, est absurde. La photographie et la coiffure peuvent être,
suivant les cas, de vulgaires métiers ou un art véritable. Tout dépend de la façon
de les pratiquer. Bien sûr, lorsqu´ils s´agit simplement de couper les cheveux
ou de raser la barbe d´un homme, l´Art n´a pas grand´chose à faire. La
toilette de l´homme est surtout une opération de nettoyage. C´est une question
d´Hygiène. Nous ne sommes plus à l´époque des assyriens, quand les hommes
portaient de longues barbes et chevelures soignées coquettement. Ni même
au siècle des perruques; c´est-à-dire au tien, cher Figaro.
Mais
lorsqu´il s´agit de traiter la chevelure d´une femme, la chose varie. La
coiffure d´une femme est et a toujours été une opération d´embellissement. Elle
est et a toujours été une question d´Esthétique, depuis le temps de la Dame de
Brassempouy jusqu´à présent. C´est pourquoi pour être un bon coiffeur de dames,
il faut être un véritable artiste. Autant que le photographe, le coiffeur de
dames doit étudier d´abord la physionomie de sa clientèle. Un front plus
ou moins grand, un visage plus ou moins rond demandent à être traités d´une
façon différente.
Puis,
autant que le photographe doit étudier l´éclairage, le coiffeur doit étudier la
couleur. Il faut toujours concilier celle-ci avec le ton de la chair,
bien connaître les nuances, l´usage du clair-obscur et la distribution des
ombres, pour donner plus de vie au teint, plus d´expression au regard, plus
d´attrait aux grâces. Enfin la tâche du photographe –portraitiste (il
n´est pas question à présent du paysagiste) est surtout négative; à savoir,
cacher ou dissimuler les traits peu esthétiques par une combinaison heureuse de
l´attitude et de l´éclairage, et rendre le naturel sous le côté le plus
favorable. Par contre, la tâche du coiffeur est surtout positive; à
savoir, donner des grâces nouvelles à la beauté naturelle. Somme toute: le
coiffeur est un créateur de beauté; le photographe, non.
- Bravo! Le bienheureux et prétentieux photographe va
m´entendre ce soir là-haut.
- Tu peux lui dire encore que tous les artistes du
portrait –photographe, peintre et sculpteur– s´inspirent très souvent des
créations des coiffeurs. Nefartiti et la Venus de Milo, la Joconde et la
Maja nue, avant de poser pour les artistes qui les ont immortalisés, passèrent
par les mains de leurs coiffeurs.
Et aucune “star” de
cinéma ne se présente aujourd´hui devant son “cameraman”, sans faire
préalablement pareille visite.
Toutes ces femmes
ravissantes de ton temps transmises par l´art exquis de la Tour et de Goya, de
Nattier et de Tocqué, de Perronneau et de Fragonard, auraient-elles toujours la
séduction de leurs portraits, n´était l´art exquis de leurs coiffeurs…?
- En effet, je suis de ton avis.
- Je ne sais pas si tu as connu personnellement Belle de
Zuylen.
- Non, j´en entendis parler quelquefois le Comte
Almaviva; mais je ne la connus pas.
- Eh bien, supprime du portrait que La Tour nous a
laissé d´elle sa coiffure magnifique, et tu auras une femme vulgaire, voir
laide.
- Certes, ce n´était pas le cas de toutes les belles
plus ou moins artificielles de ton époque, à commencer par
Mari-Antoinette. En tout cas, ce n´est pas l´aimable peintre Madame Vigée
–Lebrun qui a fixé pour la postérité la physionomie de la malheureuse reine,
mais son coiffeur, Monsieur Léonard.
- Sans réplique, mon cher.
Et à propos de
maître Léonard. Est-ce que tu connais bien son histoire..?
- Un peu, mon ami.
- Tu sais, dans mon temps on ne parlait dans les cercles
féminins que de lui. D´abord il faut convenir que maître Léonard fut dans son
genre un véritable créateur; puis, c´était personnellement un bon diable.
L´homme valait autant que le professionnel. Quand la Révoltuion éclata, il
rendit de loyaux services à ses infortunés souverains.
Savais-tu qu´il
joua un rôle secret dans la récoonciliation que Marie-Antoinette souhaita avec
Mirabeau?
- Oh! non.
- Et encore davantage. Luis XVI l´envoya aussi come
émissaire au Marquis de Bouillé pour préparer la fuite de la famille royale à
Montmédy. L´arrestation de Varennes mit en échec le projet.
Alors Léonard
émigra en Russie d´où il ne revint qu´à l´époque de la Restauration. Il finit
obscurément ses jours exploitant à Paris une entreprise de pompes funèbres. Au
moment de son décès (1820), il était âge de 70 ans. On lui attribue un ouvrage
posthume de “Souvenirs pour la postérité” dont l´authenticité est plus
que douteuse.
- En tout cas, c´ést un collègue qui honora votre
profession. Ce n´est pas comme Olivier le Daim.
- En effet, tu sais, si je n´avais pas été Figaro,
j´aurais bien voulu être maître Léonard.
- Mais, mon vieux, tu as eu de la chance, toi.
Tu as éclipsé
devant la postérité tous les barbiers, et coiffeurs de la planète. Qui se
rappelle aujourd´hui maître Léonard et ses “poufs au sentiment..?”
Personne. Mais tout le monde connaît Figaro et ses traits d´esprit
mordants. A propos, je pense qu´il serait très opportun que tu montasses à
nouveau sur la scène pour souffler quelques-unes de tes apostrophes à la figure
de certains hommes.
Tu sais,
l´aristocratie du sang a vécu, mais nous supportons à présent une
pseudo-aristocratie de l´argent plus stupide, plus grossière et aussi immorale
que celle-là.
Du moins, ton comte
sévillan était un Almaviva, d´est-à-dire, une Ame-vivante, tandis que ces
rustres bourgeois sont pour la plupart des “Almamuertas”, c´est-à-dire, des
“Amesmortes...” Mortes et puantes...
- Et crois-tu, mon cher, qu´avec des gens de ce poil,
c´est la peine de perdre son temps en apostrophes…? Les ânes ne marchent
pas avec des paroles...
- Bravo! Cher Figaro.
Mais tu es plus
révolutionnaire que ne croyais!
- Naturellement. Tous ces ténors d´opéra italien m´on
défiguré complètement. Ils m´ont trasnformé en un don Juan Merlan. Pourtant
c´est à ma classique réputation de révolutionnaire que je tiens le plus. Je ne
suis pas précisément la jolie et mélodieuse vedette de Rossini, mais
l´escrimeur de Watteau le fils “pourfendant les abus sociaux.”
- Mais oui, mon ami: je me vante surtout d´être l´homme
du peuple qui pourfend les injustices sociables.
- -Et quelle apostrophe aimes-tu le mieux parmi toutes
celles que Beaumarchais mit sur tes lèvres?
- La suivante :
« Parce que
vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie.. !
Noblesse, fortune, un rang, des places : tout cela rend si fier !
Qu´avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de
naître, et rien de plus… »[5]
- Console-toi, les chanteurs et les chanteuses ont joué
en revanche à rossini les tours les plus amusants. Connais-tu le compliment que
Rossini fit une fois à la Patti..?
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- Mais qui était cette Patti..?
- Fichtre! Une illustre compatriote.
Elle naquit
à Madrid en 1843 et gagna avec sa voix durant sa vie, la somme
rondelette de 25 millions de francs or. Elle possédait un éventail unique: tous
les chefs d´Etat d´Europe y avaient inscrit un compliment, depuis le tsar
Alexandre III jusqu´au président Adolphe Thiers. Cela veut dire que la
Patti était une des premières cantatrices du monde. Et bien, après l´audition
de la cavatine du “Barbier” qu´elle venait de chanter, arrangée à sa manière,
Rossini dit à la Patti:
- En effet, c´est magnifique.
Tu sais un
professeur de la Sorbonne, Mr. Feliz Griffe, s´est amusé il y a
quelesques années, à actualiser toutes les créatures de ton maître Beaumarchais
et il a trouvé que tu serais maintanent un « journaliste » d´extrème
gauche[6] ; c´est à dire, un rédacteur d´Action ou
de « L´Humanité »…
- Bien sûr.
- Pourtant, tu vois, l´unique journal parisien qui porte
ton nom depuis un siècle, est –o ironie du destin !- une feuille d´extrème
droite…
- Tais-toi, tais-toi ! Moi porte-parole de la
réaction française.. ! Quelle horreur ! Mois parlant par la bouche
d´un Calmette, d´un Coty et d´un d´Ormesson… ! Abracadabrant ! Le
coquin de Villememant me joau un tour abominable.[7]
- Bah ! calme-toi. La chose n´a pas d´importance.
Ici tout le monde le connaî. Personne n´est dupe. En 1937 on fit une reprise de
ton « Mariage » au théâtre parisien du Vieux-Colombier. Et sais-tu
comment l´acteur Rollan[8] déclama tes
apostrophes ? Justement comme Marat. Alors…
- C´est bien. Remarque cependant que si mon premier
interprète, le brave Dazencourt, avait joué le rôle de la sorte, la première
représentantion aurait aussi été la dernière. La Cour aurait ouvert les yeux et
l´aurait interdit par la suite.
- Et que penses-tu de tous les opéras qu´on a montés sur
ton compte depuis un siècle et demi ?
- Je préfère d´abord celui de Mozart[9].
C´est un chef-d´œuvre, digne de son génie. Et bien entendu, j´aime surtout mon
air : « Mon priu andrai ».
- Et quel est ton avis sur le pastiche de
Notaris… ?
- Quelle horreur ! Mais comment le piteux, miteux,
marmiteux et calamiteux Notaris se permit-il de mettre ses mains pêchéresses
sur cette œuvre déjà classique?[10] Voilà ce que
je me suis demandé plus d´une fois.
- Que veux-tu ? Sans doute il pensa qu´aux temps de
la Révolution, il était permis de révolutionner même les classiques.
Rappelle-toi le proverbe de notre pays : « L´ignorance est très
hardie… ».
- Et que me dis-tu du « Barbier » de
Rossini ?
- Ah ! cela est une autre histoire. Je trouve
d´abord que c´est une partition étincelante, entrainante, étourdissante et
ravissante. Le chef d´œuvre de l´opéra bouffe italien.[11] Tu
comprendras que pour faire oublier celui de Paesiello, il lui fallait une
évidente supériorité[12]. Mais tu sais, ce diable de
musicien-cuisinier m´a joué un tour, pareil à celui de Villemessan. Je ne suis
plus un frondeur, mais un bouffon.
- Console-toi. Les chanteurs et les chanteuses ont joué
en revanche à Rossini les tours les plus amusants. Connais-tu le compliment que
Rossini fit une fois à la Patti… ?
- Mais qui était cette Patti … ?
- Fichtre ! Une illustre compatriote. Elle naquit à
Madrid en 1843 et gagna avec sa voix durant sa vie, la somme rondelette de 25
millions de francs or[13]. Elle possédait un éventail
unique : tous les chefs d´Etat d´Europe y avaient inséré un compliment,
depuis le tsar Alexandre III jusqu´au président Adolphe Tiers. Cela veut dire
que la Patti était une des premières cantatrices du monde. Eh bien, après
l´audition de la cavatine du « Barbier » qu´elle venait de chanter,
arrangée à sa manière, Rossini dit à la Patti :
- “Mais bravo! Bien! très bien, Madame.
Et... de qui est
“cette musique..?[14]”
- Epatant!
- Mais non. Pas du tout. Bah! Qui connaît sur la
Terre le Barbier de Bagdad..? Et qui ne connaît pas le Barbier de Séville…?
- En effet, mon ami, tu es le barbier le plus connu sur
la terre et dans les cieux.
- A propos, Figaro,
veux-tu me dire comment se coiffent les femmes au paradis..?
A la garçonne..? a
la Cléopatre..? A la Fontange..? A la Titus..?
- Mais non, mais non. A la mère Eve simplement.
Comme il n´y a pas là-haut de salons de coiffure et qu´elles sont éternellement
occupées à contempler la face de Dieu le Père, elles portent les cheveux
flottants comme la première femme.
- Mais je te le dis
en confiance, et? Garce-toi de divulguer le secret. Remarque que si les
femmes l´apprenaient, toutes ces coquettes qui n´ont de jolies que la robe et
la coiffure, seraient capables de renoncer au Paradis.
- Mais ça ne fait
rien. Tant mieux. A quoi bon voulez-vous des laiderons au ciel..?
- Une question curieuse: les barbiers continuent-ils
encore à exercer la chirurgie..?
- Ah! Non, cher Figaro. La Médecine et la Chirurgie ont
fait des progrès énormes et les barbiers n´y ont rien à voir à présent. Votre
intrusion séculaire est finie.
- Comment! Notre intrusion…
- Allons!, ne fais pas le nigaud. Tu sais bien que
vous étiez des chirurgiens… intrus. Originairement les barbiers ne faisaient
pas de chirurgie. Ils se bornaient à couper les cheveaux des hommes et à
peigner ceux des femmes. En outre, ils amusaient celles-ci en jouant de la
flûte. C´est pour cela qu´ils portaient dans leurs enseignes des flûtes,
des peignes et des ciseaux. Mais vers le XIIè siècle les chirurgiens
eurent un jour la malheureuse idée de leur accorder les privilèges de faire
saigner et de curer quelques plaies, et les barbiers ne tardèrent pas à
supplanter leurs protecteurs. Le tour ne fut pas vraiment chevaleresque...
- Mais je ne savais pas cela, cher compatriote.
- Ah! Non? Par contre je sais parfaitement qu´à
Seville tu donnais toi-aussi des drogues aux domestiques de Bartholo, saignais
sa maîtresse et appliquais des cataplasmes à sa mule…[16]
- Mais cela n´est pas vrai, mon cher. C´est-à-dire,
les histoires du narcotique de l´Eveillé, du sternutatoire de la jeunesse et la
saignée de Marceline sont en effet authentiques.
- Aaaah!
- Mais celle du cataplasme que j´appliquais sur les yeux
de la mule aveugle, est une invention calomnieuse du coquin de Bartholo.
C´était lui la véritable mule aveugle, et c´est à lui que j´appliquais les
cataplasmes de ma ruse pour délivrer de ses griffes la pauvre Rosine.
- Bon, bon. Tu as toujours raison, cher Figaro.
- Mais oui. Et c´est toi qui as tort de t´en
prendre aux barbiers-chirurgiens. Je rejette l´épithète d´intrus. Si
l´activité chiruggicale des barbiers commença par être, d´après toi, une
intrusion tolérée, elle ne tarda pas à devenir une profession annexe
autorisée. Surtout ici en France. Je suis bien renseigné.
- Par qui...?
- Par qui...? Ecoute bien: par deux anciens lieutenants
du Barbier du Roi à Saumur avec lesquels je me suis lié d´amitié au Paradis.
- Caramba! Dis-moi, dis-moi.
- Eh oui: il s´agit de deux braves hommes, l´un appelé
maître Violette, et l´autre, maître Mersant. Le premier présida la Confrérie
des maîtres barbiers-chirurgiens de Saumur dans le dernier quart du XVIè
siècle, et l´autre dans le dernier quart du XVIIIè siècle.
- Mais pourquoi se nommaient-ils leutenants du Barbier
du Roi?
- Parce que légalement le chef de tous les barbiers et
chirurgiens du royaume était le Barbier du Roi, auquel tous les maîtres
barbiers et chirurgiens devaient payer pour une fois un tribut de “cinq sols
parisis”. Les chefs des corporations locales ou régionales n´etaient que
ses lieutenants.
- C´est curieux.
- En France les barbiers-chirurguiens avaient un Code
fondamental. Les “Statutz et Ordonnances Roaylles faictes par les Roys de
France sur l´Estat de Barbier – Chirurgien, pour tout le Royaume de France, et
confirmée par le Roy Henri III de ce nom” en 1586.
- Maître Violette en fit faire cette même année à Anger
une édition dont il doit rester encore un exemplaire aux Archives Municipales
de Saumur.
- Zut! Je vais transmettre la nouvelle au président du
Syndicat des Coiffeurs saumurois, parce qu´elle l´intéressera assurement.
- Mais qu´est-ce que le Syndicat des Coiffeurs?
- Une association professionnelle, pareille à l´ancienne
confrérie des maîtres barbiers-chirurgiens.
- Ah! Oui. J´ai aussi entendu parler de cette dernière
par les maîtres Violette et Mersan.
- Et ce Syndicat de
coiffeurs est-il de patrons ou d´ouvriers?
- Ah! de patrons seulement.
- Alors comme la confrérie des maîtres
barbiers-chirurgienss au XVIè siècle.
- C´est ça. Que veux-tu, cher Figaro? Les
ouvriers saumurois sont encore au XVIè siècle.
- Mais je pense que les garçons-coiffeurs ont un peu
plus de liberté qu´à l´époque de maître Violette.
- Je ne sais pas.
- Tu sais, d´après ce que m´a raconté celui-ci, les
serviteurs et apprentis ne pouvaient jamais s´absenter de la ville sans mettre
à leur poste un substitut et ne pouvaient jamais quitter un maître et entrer
travailler chez un autre, sans le consentement exprès par écrit du premier.
- Mais, c´était de l´esclavage…!
- A peu près.
- Et les bienheureux patrons de la Confrérie, St-Cosme
et St-Damien, ne faisaient-ils rien pour adoucir le sort de ces esclaves...?
- Rien du tout. Comme ils étaient eux aussi des
patrons, ils ne s´entendaient qu´avec les maîtres…
- Comme aujourd´hui. Ils n´ont pas évolué non plus…
- Cependant tu sais, les maîtres barbiers-chirurgiens de
Saumur ne s´ entendaient pas aussi bien avec les gens d´église. Maître
Mersan m´a confié que les religieuses de l´Hôtel-dieu ne perdaient pas
l´occasion de le vexer personnellement et la Confrérie elle-même eut à soutenir
un procès contre les Pères Cordeliers qui se mêlaient de débiter “emplâtres,
lautions et élixirs.”
- Mais ils avaient raison, les bons Pères
Cordeliers. Ils pratiquaient la Médecine intégrale: pour l´àme, la
confession; et pour le corps, les lotions…
- Ah! Ah, ah!
- Bon, bon, cher Figaro. laissons de côté les maîtres
barbiers et les réverends pères Cordeliers.
- Une question d´actualité: que penses-tu de la tonte
des brébis égarées pendant l´occupation allemande..?
- Caramba! Je voulais justement te consulter à propos de
cela. Tu sais, l´autre jour un ancien collaboratoeur de “Gringoire”
essayant de passer au ciel camouflé, se présenta d´un air innocent les poches
remplies de poèmes de la Résistance. J´en lus un par curiosité. Son
titre était: “Commprenne qui voudra”; et son auteur un certain Paul
Eluard. Et bien, le poème portait en tête cette légende:
- “En ce temps-là, pour ne pas châtier les coupables, on
maltraitait des filles. On allait même volontiers jusqu´à les tondre.”
- Que dis-tu de cela?
- Moi? Que c´est une triste réalité.
- Que veux-tu mon vieux? Aujourd´hui la justice
bourgeoise, comme à ton époque la justice aristocratique, est toujous pareille:
La pauvre
Jullienne, une malheurse fille aux jambes arquées qui allait à la Perrière
ramasser les miettes qui tombaient de la table des frisés, a été tondue et
écrouée à Fontevrault; par contre Horace Carbuccia qui a ramassé des millions
sur le compte des campagnes germanophiles et fascistes de “Gringoire”, se
promène tranquillement sur le trottoir. Et cela en même temps que´on
fusille ses anciens collaborateurs..![18]
- Incroyable!
- Mais c´est comme
ça.
Enfin,
cher Figaro; voici mon tour arrivé. Je te laisse libre. Tu peux retourner
au ciel. Continue à épurer dans l´au-delà. Mais un peu mieux qu´en
deçà. Surtout lorsque le tour des phalangistes comencera.
Attention! Mon
ami, parce qu´il se présenteront munis de tous les sacrements, oints de toutes
les huiles, approvissionnés de toutes les bénédictions et chargés de toutes les
indulgences.
- Bah! Rassure-toi. Le Père Eternel ne regarde que
les oeuvres.
- Bonsoir, cher Figaro. Et merci bien.
- Bonsoir.
Je
m´assis sur le fauteuil tournant. On me coupa les cheveux. Je payai et
m´en allai.
Près
de la porte, la jeune fille au casque de “Tommy” continuait à sécher sa
permanente. Je la regardai discrètement en passant. Elle était jolie.
En
filant par la rue Beaurepaire, je me rappelai l´ancien apologue du Renard et du
Buste. Et je conclus à l´inverse de la fable:
Ta
tête est sans cervelle.
Pourtant
elle est si belle,
Mademoiselle…
[1] Beaumarchais,
“Le mariage de Figaro”, acte V, scène IV.
[2] D´après
Beaumarchais, Figaro était espagnol, de Séville, et son prénom était Emmanuel,
en castillan, Manuel. Voir « Le mariage de Figaro », acte III, scène
XVI.
[3] Monseigneur
Mayol de Lupé, aumônier de la Légion de Volontaires Français contre le bolchévisme.
[4] Ernest
Lavoisier, Histoire de France, t. IV, liv. III, ch. I. Olivier le Mauvais,
anobli en 1475 sous le nom d´Olivier le Daim et devenu comte de Maulan, fut,
aussitôt après la mort du Roi, arrêté et mis en jugement. Le 21 Mai 1484
il fut pendu au gibet de Montfaucon.
[5] Allusion à un dessin de Watteau le fis:
Figaro-Beaumarchais pourfendant les abus sociaux: B.N.-C. E.
[7] L´actuel Figaro, fondé en 1854 par
Villlemessant, fut d´abord, comme son prédécesseur, un journal de gauche.
Rochefort y fit des campagnes rétentissantes. Mais depuis la guerre du 78,
villemessant tourna casaque et le transforma en journal réactionnaire. Les
affaires sont les affaires.
[9] “Les Noces de Figaro”, livret de Lorenzo de
Ponte et musique de Mozart. Il fut représenté à Vienne le 28 avril 1786.
[10] Il s´agit d´un mauvais amrrangement de l´opéra
de Mozart, donnè à l´Opéra de Paris, le 21 mars 1793 siys ke titre de
« Mariage de Figaro ».
[11] “Le Barbier de Séville”, opéra bouffe italien,
avec paroles de Sterbini et musique de Romini. Il fut représenté à Rome le 26
décembre 1816.
[14] Adelina Patti fut une artiste précoce. Dès l´âge
de 9 ans et en l´espace de 2 années, elle donna 300 concerts. Épousa
successivement le Marquis de Caux, Nicolini et le B. de Cedestrôm.
[15] Le Barbier de Bagdad, opéra comique de Meter
Cornelius, fut représenté, à Weimar le 15 décembre 1858. Cette première
représentation ne fut pas un succès et servit de protexte à une cabale contre
Listz qui était le chef d´orchestre et le directeur du théâtre. Listz se
retira. Reinstrumenté par Mottl et Levi, cet opéra fut repris à Munich avec
succès en 1885.
[18] Georges Suarez et Jean Phialy. Henry Béraud fut
aussi condamné à mort, mais il fut gracié par De Gaulle. C´est l´avot de Béraud
qui au cours du procès de celui-ci en décembre 1944, révela que Carbuccia se
trouvait à Paris en liberté et assuré même de son impunité par la possession de
mystérieux documents légués à lui par son beau-père, Jean Chiappe. Par la suite
on lança un mandat d´arrêt contre lui ; mais trop tard. Il avait eu bien
le temps de se cacher ou de passer à l´étranger.
L´ANGE DE L´ABSENT
A Jacquot Guillemet
Saumur,
24 de diciembre de 1944
Une fois…
C´était un enfant
mignon et sage comme toi.
Il s´appelait
Janot.
Et il avait la peau
rose et les cheveux blonds.
Il était fin comme
un bibelot et inquiet comme un oiseau.
Et il aimait
gambader et rire et s´amuser.
Et il aimait
notamment se moquer.
Il était fragile
comme une poupée et bavard comme un perroquet.
Il était adoré par
ses parents et gâté par ses aïeuls.
Ils lui apportaient
souvent des bonbons et des jouets.
Et il était heureux
comme un petit prince royal.
A son tour il
faisait le bonheur de ses parents.
C´était une belle
et calme et heureuse maison que celle du petit enfant Janot.
Mais un jour…
Des événements
graves troublèrent le pays et des hommes méchants enlevèrent le père du petit.
La maman et les
aïeuls perdirent toute trace du papa et tombèrent dans l´angoisse la plus
poignarde.
Qu´était-il devenu,
le disparu..?
Mystère…
Mystère inquiétant…
La joie et la
tranquillité quittèrent par la suite la maison.
Et la tristesse et
l´anxiété commencèrent à ronger la maman et les aïeuls.
Cependant pour ne
pas faire de la peine à l´enfant, ils le dissimulaient toujours en sa
présence.
Parfois leur cœur
sanglotait et leurs lèvres ébauchaient des sourires… amers.
Cette année la Noël
arriva comme toujours avec son émotion familiale, faite de joie et d´amour.
Toutefois la soirée
ne fut plus cette fois une fête, mais une nostalgique et navrante veillée.
L´ombre de
l´Absent, plongé dans le mystère planait incessamment au-dessus de leurs têtes.
La mère et les
aïeuls beaucoup plus que jamais regrettèrent à table le manque d´un couvert.
Malgré son
inconscience, le petit lui aussi n´avait pas l´allégresse des Noëls de jadis.
Est-ce qu´il
remarquait également l´absence de papa…?
Malgré tout quand
il se fut couché, il se mit à songer à Noël.
Le vieillard à la
barbe de neige vint bientôt au rendez-vous du rêve.
Mais il arriva
cette fois, accompagné d´un brillant camarade.
Celui-ci était beau
comme un archange et caressa l´enfant avec une tendresse immense.
Devines-tu,
Jacquot, qui était-il… ?
Mais oui, petit
ami.
C´était l´ange du
père de Janot, envoyé cette nuit par celui-ci, embrasser son enfant sage et
mignon.
EL ÁNGEL DEL AUSENTE
A Jacquot Guillemet
Una vez…
Era un niño precioso y bueno como tú.
Se llamaba Janot.
Y tenía la piel rosa y los cabellos rubios.
Era delgado como un bibelot e inquieto como un pájaro.
Le gustaba ir de aquí para allá y reír y divertirse.
Le gustaba sobre todo burlarse.
Era frágil como una muñeca y hablador como un
periquito.
Sus padres lo adoraban y sus abuelos lo mimaban.
Le traían a menudo chucherías y juguetes.
Era feliz como un principito real.
Por su parte hacía la felicidad de sus padres.
Era una bella, tranquila y feliz casa la del pequeño
Janot.
Pero un día…
Acontecimientos graves turbaron al país y hombres
malos se llevaron al padre del pequeño.
¿Qué le había pasado al desaparecido...?
Misterio…
Misterio inquietante…
La alegría y la tranquilidad abandonaron a partir de
entonces la casa.
Y la tristeza y la ansiedad comenzaron a hacer
mella en la mamá y los abuelos.
Sin embargo para no causar pesar en el niño, lo
disimulaban siempre en su presencia.
A veces su corazón sollozaba y sus labios esbozaban
sonrisas… amargas.
Aquel año la Navidad llegó como siempre con su emoción
familiar, hecha de alegría y de amor.
Sin embargo la noche no fue esta vez una fiesta, sino
una nostálgica y entristecida velada.
La sombra del Ausente, sumida en el misterio planeaba
incesantemente por encima de sus cabezas.
La madre y los abuelos sintieron más que nunca la
falta de un cubierto.
A pesar de su inconsciencia, el pequeño tampoco tenía
la alegría de las Navidades de antaño.
¿Se daba cuenta de la ausencia de papá...?
A pesar de todo cuando se acostó, se puso a pensar en
Navidad.
El viejo de la barba blanca vino pronto a la cita del
sueño.
Pero acudió esta vez, acompañado por un brillante
camarada.
Era guapo como un arcángel y acarició al niño con una
ternura inmensa.
¿Adivinas, Jacquot, quién era..?
Sí, amiguito.
Era el ángel del padre de Janot, enviado aquella noche
por éste, a abrazar a su niño bueno y guapito.
[1] En el manuscrito (cuaderno 4): St.
Cyr-en-Bourg, 28 Août 1944.
[2] Journal intime, 22-XII-1874.
[3] Théâtre critique universel, T. I, discours XV.
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