Índice:
1) Psychologie de la bicyclette, 08/04/1940
2) Variations sur le Quiétisme, 20/12/1940
2) Variations sur le Quiétisme, 20/12/1940
3) Noêl du prisonnier, 24/12/1940 (en español y en francés)
4) Neige, 27 décembre 1940
4) Neige, 27 décembre 1940
PSYCHOLOGIE DE LA BICYCLETTE
Essai d´une interprétation superficielle de
l´Idiosyncrasie française
À
Madame et Monsieur Bossard
Souvenir
cordial
Balloire,
8 avril 1940
Manuel G. Sesma
Les goûts,
les penchants sont des polarisations de l´idiosyncrasie. C´est une vérité
psychologique évidente. Chaque être réagit selon sa façon d´être particulière.
La dynamique biologique a toujours quelque point de départ central:
l´idiosyncrasie. De la base physiologique (le tempérament) et de la
conformation morale (le caractère), défini personnellement comme tel, par ses
réactions particulières devant toute réalité extra subjective. Et bien, parmi
ces réactions les plus qualifiées sont les goûts, c´est à dire, la canalisation
des mouvements sympathiques en ce qui concerne les activités en rapport direct
avec notre vie sentimentale. Les goûts définissent l´individu. Pas tout à fait,
pas même essentiellement, bien entendu. L´homme est un être si complexe, si
vaste pour essayer de le définir –de le délimiter- par une seule de ses zones
animiques: celle du sentiment. De toute façon, il est bien sûr que les goûts
sont un indice psychologique de grande valeur pour déterminer l´idiosyncrasie
individuelle.
Et
seulement celle des individus? Non. Pour les peuples il en est de même. Les
goûts nationaux révèlent aussi l´idiosyncrasie d´un pays. Les collectivités
polarisent également leurs activités sympathiques en accord parfait avec leur
respective idiosyncrasie. Ainsi, par exemple, ce n´est pas difficile de deviner
une des nuances les plus accentuées de notre tempérament, le penchant vers la
violence, lorsque l´on a appris qu´un des spectacles les plus aimés des
Espagnols sont les courses de taureaux. Souvent les sujets des goûts nationaux
sont un vrai symbole de l´idiosyncrasie d´un pays. En ce qui concerne plus
particulièrement le peuple français, j´ai cru trouver ce symbolisme dans un
appareil de locomotion éminemment populaire : la bicyclette.
La France
est probablement le pays européen où le peuple marche le plus et le mieux à
bicyclette. Tout le monde ici monte en « vélo » : le jeune
homme, le vieillard, le paysan et le banquier. C´est précisément le détail qui
attira de primer abord mon attention la première fois que je traversai les
Pyrénées, il y a quelques années. Si l´on faisait une statistique des français
qui ne savent pas monter en bicyclette, le pourcentage serait probablement plus
exigu que celui des citoyens qui ignorent la Marseillaise. La France est le
pays des tours cyclistes et des champions de vélo. André Leducq est aussi
populaire qu´Albert Lebrun. Pourquoi…? Quels ressorts cachés poussent le
français, aussitôt qu´il commence à avoir l´usage de son appareil biologique de
locomotion, à monter sur une bicyclette... ?
Quelle est
l´explication psychologique du penchant extraordinaire des français pour la
vélocipédie ?...
Je l´ai
trouvée simplement dans le fait –un peu étrange, tout d´abord- que la
bicyclette semble être une concrétion mécanique des nuances les plus
remarquables de l´idiosyncrasie française.
A)
Avant
tout, il est évident que la bicyclette présente un double aspect
fondamental :
a)
celui
d´un appareil de locomotion.
b)
Celui
d´un instrument de distraction (jouet).
Le cyclisme conjugue à la fois l´utilité et le jeu. Et
bien cette conjugaison est typique chez le peuple français. En effet son
activité est essentiellement folâtre ; il n´a point de la vie ce sentiment
tragique que par exemple, nous avons, nous les espagnols, et qui a été si bien
étudié par notre grand penseur Miguel de Unamuno. Le patron du peuple français
n´est point Don Quichotte, mais Pantagruel. Il travaille et pense, aime et
haït, vit et meurt en badinant toujours.
Sa devise semble être le « mieux est rire » de
Rabelais. Et c´est là précisément que se trouve tout le secret du fameux
« esprit » français : dans la grimace compréhensive et souriante
à travers les situations les plus sérieuses de l´existence. Quand ce n´est pas
le bonnet philosophique de Voltaire, c´est le chapeau de paille de Maurice
Chevalier.
B) La bicyclette est un jouet léger. Il est léger dans les
deux sens : celui du mouvement et celui du poids. Exactement comme le
peuple français. En effet, la France est un peuple des plus inquiets et véloces
de la planète. Si un jour on découvrait un appareil à mouvement continuel, bien
sûr, son inventeur serait français. La France est le pôle opposé des pays
stationnaires. Ici toutes les choses bougent : les anciennes, les
arts ; les industries et les mœurs, enfin tout. Rien ne demeure immobile
dans ce peuple. C´est pour cela que la France est un peuple vraiment et
éminemment progressif. Progresser est aller de l´avant. Mais en outre, il est
un des peuples qui sont en tête du progrès. Pourquoi ? À cause de sa vélocité.
Il ne bouge pas seulement incessamment, mais vite. D´où la France est le pays
des révolutions et des modes ; c´est-à-dire, celui de la vitesse la plus
remarquable à l´égard des changements de la vie collective, profonds et
superficiels. Le même siècle a vu Napoléon et Raoul Rigaut, le romantisme et le
naturaliste : David et Cézanne,
Or la France est non seulement un pays où
le peuple est léger au point de vue dynamique, mais, ainsi que la bicyclette,
dans le sens de la pesanteur. Ici rien n´est grave ; ni les idées ni les
mœurs, ni la vie en général. La pensée française manque de densité. Sa
philosophie même –la philosophie est la discipline de poids spécifique le plus
considérable- n´a jamais été profonde, mais corticale. Et son meilleur
philosophe, Descartes, se livre génialement à explorer les voies de la Vérité
–la méthode –meta odon (grec)- sans pénétrer dans le sanctuaire de celle-ci.
Par contre, la littérature française est une es plus
brillantes de l´Europe. Pourquoi ? Justement à cause de la légèreté du
génie français. Ah, c´est que touchant la densité de la pensée, la littérature
est comme Minerve en déshabillé.
C)
La
bicyclette est une machine d´équilibre. Comme l´âme du peuple français. C´est
curieux. La France a une âme de cirque. Le Français aime toutes les acrobaties
et toutes les pirouettes. Néanmoins il perd rarement l´équilibre. La France est
la piste de l´Europe : la piste de toutes les idées, de tous les essais et
de toutes les extravagances, depuis le mysticisme de Rancé jusqu´à la messe
noire de Sade ; depuis les phalanstères du fouriérisme aux séances
médiumniques d´Eusupie Paladino. Malgré tout, la France se trouve parmi les
peuples les plus équilibrés du continent. Si quelquefois –et même plusieurs
fois- elle se laisse entraîner par le vertige, elle sait toujours réagir à
temps et recouvrer son équilibre. C´est pour cela que la France malgré toutes
les révolutions et les bouleversements, ne rétrograde jamais. Elle introduisit
dans l´Europe la division des pouvoirs, mais elle créa de même le pouvoir
modérateur. Chaque Français a pour lui un pouvoir modérateur particulier. Il
s´appelle dans le français moyen, le « bon sens » : bon sens qui
est d´un côté une grosse part de la bonhommie, et d´autre, l´élément régulateur
de sa vie civile. Par ce bon sens, il reste normalement en équilibre avec
lui-même et avec tous ses concitoyens. Une des conséquence de cet esprit
équilibré est l´attitude générale du peuple français en face de la vie. La
philosophie vitale du Français et l´épicurisme, c´est-à-dire, la gustation rationnelle de tous les mots et de
tous les raffinements de l´existence. Ce n´est point par hasard que la France
est peut-être l´unique pays européen qui a un classique gastronome :
Brillat-Savarin. « J´ai toujours cru, écrit Anatole France, que la seule
chose raisonnable est de chercher le plaisir. » Et comme lui, approuvent
la plupart de ses compatriotes. Leur grand poète Ronsard leur conseillait déjà,
il y a quatre siècles :
« Vivez, si m´en croyez, n´attendez à demain
Cueillez dès aujourd´hui les roses de la vie… »
Et vraiment, les petits fils d´Hélène n´ont pas négligé
le conseil.
D)
La
bicyclette est un jouet économique, comme l´esprit du peuple français. Quelque
poète classique espagnol, dont je ne me rappelle pas le nom en ce moment, parle
de l´ « avare français » ? Sans doute il est fort
significatif que les peintures littéraires plus achevées de l´avare soient dues
à la littérature française (Shylock n´est pas un homme mais un monstre). On
voit que Molière et Balzac connaissaient le type trop bien. Où
l´étudièrent-ils ? Certes, le français n´est pas aussi généreux, aussi prodigue
que l´Espagnol. Cependant l´épithète d´avare me semble excessif. Le Français
est doué d´un sens de l´économie et de l´épargne infiniment plus développé que
nous. En France, les Caisses d´Epargne ont beaucoup plus de mouvement que les
Monts de Piété : en Espagne c´est le contraire. Il est bien vrai que le
niveau moyen de vie du Français donne une marge pour l´épargne bien plus ample
que celui de l´Espagnol. Malgré tout, dans le fond, il s´agit plutôt d´une
question idiosyncrasique qu´économique. L´Espagne est la classique
cigale ; le Français, la fourmi. C´est pour cela que le Français marche à
bicyclette et l´Espagnol à pied.
E)
La
bicyclette est un jouet individuel.
Voilà justement un des traits caractéristiques du
Français : l´individualisme. Le peuple français est profondément
individualiste. Il fit sa révolution la plus importante pour assurer les droits
individuels. Au fond il est probablement plus individualiste que l´espagnol qui
est peut-être l´homme le plus individualiste de l´Europe. Pourquoi ? Parce
qu´il est plus égoïste que nous. Mais en revanche, il est mieux que nous, doué
du sens harmonique de la vie sociale. Faire compatible la liberté de chacun
avec la liberté de tous, dans un régime universel de liberté –d´après la
formule de Kant- c´est un problème bien facile à comprendre et à résoudre pour
la plupart des citoyens français. Malheureusement une grande partie de mes
compatriotes ne se trouvent pas encore dans le même cas.
C´est frappant comme le même collectivisme français, dans
les différentes partis et tendances, ne se considère pas comme un système
contradictoire de l´individualisme libéral, mais comme une doctrine
complémentaire de celui-ci. Pour les collectivistes français, l´organisation
sociales, succédanée du capitalisme, n´est peint précisément une affirmation
tranchante de la suprématie de l´intérêt de la collectivité productrice
au-dessus des appétences individuelles, mais avant tout et surtout un moyen de
donner satisfaction à ces mêmes appétences, à travers la structure socialiste.
Cela donc explique que la troisième République française n´ait pas
d´inconvénient à accueillir Jean Jaurès dans le sein du Panthéon. C´est que
Jaurès, en fin de compte, n´était ni plus ni moins qu´un authentique jacobin
qui prétendait étendre à tous, dans le terrain économique, le principe
d´égalité, affirmé par la Révolution dans le domaine politique.
F)
Enfin,
la bicyclette est, en tant que jouet, quelque chose d´infantile et de féminin
comme le peuple français. Le jeu est le propre des enfants et des femmes. Les
enfants jouent avec les choses et les femmes, avec les hommes. Chez les
premiers c´est l´instinct d´imitation qui agit, et chez les secondes, celui de
la reproduction… c´es un Français qualifié, voltaire, qui découvrit
l´infantilisme de ses compatriotes. « Les habitants de Cachemire (lire la
France) sont doux, légers, occupés de bagatelles, comme d´autres peuples le
sont des affaires sérieuses, et vivant comme des enfants qui ne savent jamais
la raison de ce qu´on leur ordonne, qui murmurent de tout[1], se
moquent de tout et oublient tout. » Toutefois je crois que l´âme française
est plutôt féminine qu´enfantine. Pourquoi ? Parce que l´esprit est les
90% de l´âme de la France et les enfants n´ont jamais de vrai esprit. C´est
pour cela que le symbole de « Marianne » m´a toujours semblé une
image fort exacte de la nation française. Et je ne crois nullement à
l´existence de peuples-mâles et de peuples-femelles. Les peuples les plus
féminins –et même efféminés- savent être des peuples virils dans les épreuves cruciales
de leur histoire. Cependant, on ne peut nier que dans quelques pays,
prédominent les caractères masculins sur les féminins, et que chez d´autres
peuples, c´est justement le contraire. Par exemple, en France. Peut-on douter
que la frivolité, l´inconstance, la curiosité, la vanité et d´autres nuances
analogues que l´on remarque ordinairement dans l´idiosyncrasie du peuple
français, sont éminemment féminines… ? Montesquieu écrivait à propos de
ses compatriotes : « rien ne leur paraît si beau que de voir le goût
de leurs cuisiniers régner du septentrion au midi et des ordonnances de leurs
coiffeuses portées dans toutes les toilettes de l´Europe ». Franchement,
il me semble que ces préoccupations n´ont rien de masculin. Certes la situation
psychologique du peuple français a naturellement beaucoup changé, depuis le
XVIII siècle. Le Français aujourd´hui n´est pas le même que le contemporain de
Choiseul, comme l´Espagnol de nos jours n´est pas non plus le même que le
contemporain d´Aranda. De toute sorte, l´exportation dans le reste de l´Europe
de ses futilités les plus brillantes continue d´être un de ses principaux
motifs de satisfaction et d´orgueil. C´est peut-être pour cela que le peuple
français a la réputation universelle de frivole. Méritée ? Imméritée ?
Il est indiscutable que le peuple qui a donné un Pascal et un Laplace. Un
Pasteur et un Berthelot et qui a fait un 89 et un 48 sait s´occuper, et il
s´occupe en effet journellement- d´autre chose que de bagatelles. Mais ce qui
ne peut non plus être nié, c´est que la France, porte, depuis le temps de Louis
XIV, le spectre de la frivolité européenne. Notre Feijoo –une espèce de
Voltaire orthodoxe, au capuchon de bénédictin- constatait au début du XVIII
siècle, que Paris était le centre de la mode en Europe. Eh bien, sa
constatation n´a point perdu d´actualité. Paris continue en effet d´exercer la
dictature de la mode européenne sous les aspects les plus étonnants :
littérature et luxe.
Le peuple français est inconstant comme une femme. «Varium et mutabile foemina» dit
adroitement Virgile. Et comme elle, la nation française est la variabilité et
l´inconstance personnifiées. « L´humeur changeante qui règne parmi
nous… » se plaignait déjà Fenelon. Et cette humeur changeante se manifeste
dans tous les domaines : politique, moral, intellectuel, artistique,
social. Même en religion, qui est pourtant le domaine le plus stable. Un jour,
le Père Loysson prêche avec grand succès à Notre Dame, et le jour suivant, il
pend ses habits de carmélite et épouse une jolie pénitente… Par contre, le
romancier Huysmans commence à scandaliser par « Là-bas » et
« A rebours » et il achève dans la Trappe d´Igny, en nous édifiant
par « la Vie de Sainte Liduvine ». C´est drôle que, dans la nation de
St-Louis, « la fille privilégiée de l´Eglise », ait toujours fleuri
tous les genres d´hérésies, depuis l´arianisme importé par les Wisigoths,
jusqu´au modernisme, défendu dernièrement par l´Abbé Loissy. Bah!: question de
l´humeur changeante, comme disait Fénelon : Fénelon qui un jour se prit aussi
du quiétisme de notre Molinos.
Une autre nuance nettement féminine de l´idiosyncrasie
française est la vanité. Le Français est vain comme une femme. Cela lui fait
perdre facilement la tête pour des démonstrations, des titres et des
distinctions. Un écrivain français ne signe jamais un simple article de revue,
sans ajouter la litanie de ses titres : membre de l´Académie française, de
l´Académie Goncourt, Sénateur, ancien Ministre ou Chevalier de la Légion
d´Honneur… Et si cela est possible, son portrait, ou plutôt, sa pose…
Il arrive à la France, ce qu´il arrive à la plupart des
jolies femmes : elle n´admet point la compétition des autres. L´auteur
des « Lettres persanes »
remarquait : « ce qui est étranger, leur (les français) paraît
toujours ridicule. » C´est la réaction propre de la vanité. D´où le
Français n´apprend pas d´habitude, ou apprend imparfaitement, ce qui se passe
hors de ses frontières. Il préfère l´envelopper avec négligence, dans une
grimace de sous-estime élégante. Les Espagnols en savent quelque chose…
De toute sorte, il ne s´agit pas de l´orgueil agressif et
antipathique du peuple qui se juge supérieur à tous les autres et dans le droit
de les rendre vassaux –cas allemand- mais de narcissisme esthétique d´une
nation possédée du sentiment de sa valeur et qui subit l´illusion explicable de
découvrir dans sa propre image, le type suprême de toute perfection. Dans le
domaine patriotique, cette vanité a une traduction typique : le
chauvinisme. (L´attitude de Chauvin, le héros de « La cocarde
tricolore » un mot qui est passé du Français à la lexicographie
internationale.
En tout cas, pour finir, en face de ces défauts et
d´autres défauts classiques de l´idiosyncrasie féminine, le peuple français est
doué mieux qu´aucun autre pays européen, d´une qualité charmante qui compense
ceux-là : le bon goût et le chic, c´est-à-dire, le sens de la beauté et de
l´élégance qui dissimulent gentiment la grossièreté humaine et poétisent la
vulgarité de l´existence. Par ce fin sens artistique de la vie, prédominant
surtout dans la femme française, -une des plus charmantes de la planète- on
peut bien excuser à la gentille Marianne « de la totalité de ses qualités
négatives. »
Voltaire disait, se moquant un peu de cet esthétisme
instinctif de ses compatriotes, appliqué surtout aux caprices de la frivolité,
que dans Cachemire, « il y avait des
gens fort adroits qui avaient l´art de mettre une jambe par-dessus l´autre au
son des instruments, avec une grâce merveilleuse… »
ENVOI
Monsieur. Je ne sais si dans le course de cette rapide
excursion à travers le paysage suggestif de l´idiosyncrasie française, j´ai
fait quelque erreur d´observation.
Probablement.
Je vous prie de me pardonner.
Je l´ai faite à bicyclette.
Et de plus… je vais vous faire une confidence déconcertante :
je ne sais pas monter à bicyclette.
Moi, je suis un piston…
VARIATIONS SUR
LE QUIETISME
De Molinos à Bouddha
en passant par Madame Guyon
A Mr. Bernard du Potet
Saint Maurice d´Ibie, le 20
décembre 1940
Ce serait bien intéressant de lever le plan de la météorologie religieuse
dans la ligne pyrénéenne; c´est-à-dire de dessiner les courants religieux qui
se sont croisés sur la frontière franco-hispanique à travers les siècles. Voilà
un sujet tentateur pour un investigateur patient, épris de ces problèmes
d´influence spirituelle internationale.
C´est un grand dommage qu´un homme de talent comme, par exemple, le
cardinal Baudrillart qui passa deux années dans ma Patrie, recherchant les
archives d´Alcala et Simancas, pour en tirer ses cinq volumes sur «Philippe V et la Cour de France» qui lui
valurent le grand prix Gobert; c´est un grand dommage, je répète, qu´un homme
comme lui, n´ait pas encore eu l´idée d´entreprendre la tâche bien longue,
large et profonde, sans doute de découvrir et de montrer toutes les influences
religieuses –positives ou négatives, préchrétiennes, chrétiennes et
antichrétiennes religieuses– que la France a projetées sur mon pays et mon pays
sur la France, au cours de l´Histoire. Pourquoi? Parce que cette influence
réciproque a dû être toujours continuelle et fréquemment transcendante.
L´explication est bien claire.
Deux cultures voisines se mettent toujours en communication par le fait
seul de son voisinage. Il leur arrive ce qui arrive à deux corps approchés à
différente température. Tout de suite on établit entre eux un courant thermique
qui va de celui qui est le plus chaud à celui qui est le plus froid. Eh bien,
si cela est vrai pour les cultures en général, c´est plus certain encore pour
les croyances religieuses en particulier. Car les religions, en estimant
posséder la vraie solution de l´énigme éternelle et angoissante de l´Humanité,
celle de son origine et de son destin; en se jugeant le moyen adéquat et unique
pour le salut de l´homme, toutes sont naturellement proxélitistes, toutes
tendent comme Christ, soit par la violence comme Mahomet.
C´est pour cela que l´échange de rapports religieux –dogmatiques,
liturgiques, institutionnels, etc.- entre l´Espagne et la France à travers les
époques, a été sans doute ininterrompu; et étant donnée l´importance de la
religion dans la vie de nos deux peuples, on peut préjuger de même que cet échange-là
a dû être parfois réellement transcendant. D´ailleurs, rien de plus facile que
de trouver ça et là des vestiges de cette influence. Moi-même j´oserais en ce
moment en tracer un long schéma avec une centaine de points. Même dans le
Dictionnaire français –comme dans l´espagnol– on trouve des restes bien curieux
de cette influence séculaire. Par exemple, voici quatre mots du Dictionnaire
Larousse: «escobar, escobarder, escobarderie et escobartin», quatre mots
qui rappellent le nom de quelque casuiste espagnol du XVIIe siècle, le père
jésuite Antonio Escobar y Mendoza, attaqué caustiquement par Blaise Pascal dans
ses Provinciales.
Parfois l´attaque aux théologiens de l´Espagne inquisitoriale par les citoyens
de la France tolérante de l´Édit de Nantes, prenait des caractères, un peu plus
violents. Et alors qu´il n´était pas possible de brûler nos théologiens en
personne, comme Calvin fit avec notre Miguel Servet, on brûlait ses ouvrages
par la main du bourreau, comme on fit en 1610 à Paris avec le livre du P.
Mariana «De rege et regis institutione»,
après l´assassinat du roi Henri IV par Ravaillac.
Il est bien vrai que le respect des espagnols fanatiques pour les livres
français hétérodoxes qui entraient à la dérobée dans notre Presqu´île, et même
pour les ouvrages non hétérodoxes, mais aussi non scholastiques comme ceux du
philosophe Descartes, n´était point un respect beaucoup majeur ni moins
spectaculaire. Assurément les injures les plus atroces qui sont écrites en
Europe contre un Calvin, un Voltaire, un Renan et tous les hérésiarques et
rationalistes français, sont dues aux plumes espagnoles. Il suffit de lire
comme modèle les «Cartas del filósofo Rancio» par le P. Francisco de Alvarado.
En général, l´influence religieuses de la France sur l´Espagne a été
toujours hétérodoxe et celle de l´Espagne, orthodoxe. La chose est bien
normale. L´espagnol est généralement croyant; et le français, sceptique. C´est
une question de tempérament. Nous avons un tempérament ardent et passionné. La
frigidité n´est point dans nos veines ni dans notre climat. C´est pour cela que
devant les questions qui touchent le sentiment, comme la religion, la violence
de notre caractère ne nous permet point ordinairement l´indifférence, propre
des gens superficiels ou froids, ou le doute, propre des hommes trop cérébraux.
En Espagne, sauf quelques zones de l´intellectualité libérale, on croit ou on
ne croit point. Peut-être la plupart des soi-disant croyants ne savent pas ce
qu´ils croient ou ils sont des croyants de convenance. Mais c´est le même. Et
en tout cas, le tartufe est aussi intolérant à l´égard de l´incrédule, que le
dévot; et l´incrédule, autant que les deux autres. Tous les trois ont un
dénominateur commun: l´intransigeance de l´Europe où on a proportionnellement
bâti plus d´églises et couvents, et où en a de même brûlé davantage.
Ce tempérament ardent explique encore beaucoup d´autres détails
intéressants. Par exemple, que le martyrologe et en général l´hagiographie de
l´Espagne, que nos théologiens, nos mystiques et nos ascètes se trouvent parmi
les plus importants de la chrétienté ; et que l´empire le plus fabuleux de
l´Age Moderne, celui de Philippe II commença à se ruiner pour entêtement du Roi
Prudent à devenir le champion du catholicisme dans tout le Continent. «Je préfère perdre mes Etats que régner sur
des hérétiques» - dit-il quelquefois. Et en effet, à cause de cette
politique bien catholique, mais antinationale, l´invincible Armada coula au
fond de l´Atlantique et l´Espagne perdit la Hollande.
Ce sentiment religieux frénétique, préservé, d´autre part, séculairement de
toute contagion hétérodoxe par les flammes du Saint-Office éclaircit enfin que
l´influence religieuse de l´Espagne sur la France, surtout dans l´Âge Moderne,
ait été généralement tout à fait orthodoxe.
Par analogie, je trouve une explication satisfaisante de l´influence
ordinairement hétérodoxe de la France sur l´Espagne dans le tempérament de
celle-là.
En effet, le français est doux, changeant et superficiel. Le contraire de
l´espagnol. L´espagnol d´abord pense et après vit; c´est-à-dire, il fait de sa
pensée une mesure pour sa vie. Par contre, le français d´abord vit et après
pense; c´est-à-dire, il fait de sa vie une mesure pour sa pensée. D´où le
français n´a point en général des convictions enracinées, comme l´espagnol,
mais d´opinions voltigeantes. Et si l´on ajoute la légèreté proverbiale de son
caractère, on ne s´étonnera point qu´en France le sentiment religieux n´ait
jamais été profond, mais superficiel; que l´hétérodoxie y ait fleuri toujours
facilement, et enfin, que la patrie de Saint-Louis soit de même celle de
Voltaire et le foyer du scepticisme sensuel et souriant, depuis Michel de
Montaigne jusqu´à Anatole France.
On essayera en vain de trouver en France des mystiques comme Saint-Jean de
la Croix, des théologiens comme Molina, des missionnaires comme Saint-François
Xavier ou des fondateurs comme Loyola. Il n´y en a point. Mais, en revanche, la
France est le pays des grands prêcheurs comme Bossuet, des grands éducateurs
comme La Salle, des grands philanthropes comme Vincent de Paul. Des grands
journalistes comme Veuillot ou des grands poètes comme Francis Jammes;
c´est-à-dire, des hommes de vie extérieure plutôt qu´intérieure, de croyants ad extra plutôt qu´ad intra. C´est curieux. Les trois extatiques les plus célèbres de
la France: Jeanne d´Arc, Marie d´Alacoque et Bernardette de Soubiroux sont
passées à l´Histoire pour la projection extérieure de ses extases: la prise
d´Orléans, le culte du Sacré Cœur et celui de la Vierge de Lourdes.
Toujours en France la religion a été une lueur plutôt qu´un feu, une pose
plutôt qu´une attitude de la conscience. C´est pour cela qu´en France on voit
souvent le spectacle des apostasies les plus scandaleuses et étonnantes: celle
d´un Talleyrand et d´un Fouché: celle d´un Lamennais et d´un père Hyacinthe,
celle d´un Turmel et d´un Loisy.
Un autre détail: les mouvements les plus populaires de renaissance
catholique en France, après la Révolution, ont surpassé les limites de
l´orthodoxie et ils ont achevé anathématisés par l´Eglise. Des exemples: le
mouvement catholique libéral de L´Avenir; le sillonniste de Marc Sanguier et le
nationaliste de l´Action Française. Hélas ! l´immutabilité du dogme
catholique ne s´accorde pas bien avec l´humeur changeante du français; et c´est
tout symbolique que dans le Concile du Vatican, l´archevêque de Paris, Mgr.
Darboy, votât contre l´infaillibilité du Pape.
D´ailleurs, il n´a pas été toujours une attitude religieuses des français
en particulier, mais aussi de leur Etat ainsi républicain que monarchique.
En 1926, Mr. Charles Maurras, alors qu´il ne soupçonnait pas encore avoir
suspendu sur sa tête l´épée de Damocles du Pontificat, encourageait l´ Eglise
française à chercher «un pouvoir temporel qui lui soit ami, miles pacificus, qui lui garantisse dans
son ordre, les libertés que l´ Etat électif ne peut ni supporter ni même
concevoir»[1]
Le vibrant écrivain de l´Action française oubliait volontairement que si
l´anticléricalisme de la Troisième république Française n´a pas été certes une
garantie pour ces libertés-là, le cléricalisme de l´ancien régime, n´y a point
été plus favorable. Ce ne fut pas Emile Combes, mais un monarque français,
Philippe le Bel, qui fit frapper au visage un pape de 86 ans; qui fit brûler
vifs les membres d´un Ordre, après leur avoir volé leurs biens, et qui provoqua
au sein de l´ Église le trouble le plus profond et démoralisant qu´elle ait
subi au cours de son histoire: le Grand Schisme d´Occident. De même les
fameuses «libertés gallicanes», négation ou du moins, diminution de ces
libertés de l´Église romaine dont le sort inquiète Mr. Maurras, ne furent pas
non plus une invention de l´Etat électif français, mais de la Monarchie héréditaire.
Et à quoi bon suivre? Pour flatter l´orgueil d´un despote couronné qui voulait
asservir l´Église, Louis XIV, sur qui Madame Henriette écrivait dans ses Mémoires: «On ne saurait être plus
ignorant en matière de religion que n´était le Roi»… ; la tête la plus
solide du catholicisme français, Bossuet, l´Aigle de Meaux ne vit pas d´
inconvénient à souscrire la schismatique Déclaration du Clergé de 1682 et à
profaner l´Ecriture Sainte pour justifier l´absolutisme…
Non, non. L´anticléricalisme, le scepticisme, l´hérésie, l´indifférentisme
religieux ce ne sont pas en France, question de politique mais d´idiosyncrasie.
Ils appartiennent à la flore spirituelle du pays, comme la vigne à sa flore
naturelle.
Ajoutez maintenant à cette complexion l´esprit de tolérance pour les idées,
traditionnel dans cette nation, et on y trouvera l´explication de ce que le
courant religieux de la France vers l´Espagne, à travers les siècles, ait été
en général hétérodoxe, plutôt qu´orthodoxe, négatif plutôt que positif. Hélas !
c´était fatal. La température religieuse de la France était toujours plus basse
que celle de l´Espagne et les choses ne pouvaient point se passer autrement.
D´où précisément l´extraordinaire du cas historique, que nous allons
analyser maintenant: le quiétisme du trio Molinos – Madame Guyon – Fénélon.
Voilà un exemple de projection religieuse hispano-française qui semble
bouleverser toutes les premises que nous venons de proposer. En effet, il
s´agit, pour ma Patrie, de projeter un courant hétérodoxe, au point de vue catholique
–ce qui est étonnant-; et pour la France, de capter une onde mystique –ce qui
est plus étonnant encore.
Mais avant tout précisons un détail important, s´agit-il vraiment d´un cas
de projection hispano-française… ? Sans doute. Miguel de Molinos était
espagnol, puisqu´il était né à Patalina (Aragon) en 1640. Mais il exerça son
ministère ecclésiastique généralement à Rome, où il avait sa résidence. C´est
là qu´il réussit comme directeur de conscience très habile et qu´il publia en 1675
son fameux ouvrage «Guide spirituel». De façon que si le quiétisme français est
une projection du molinosisme espagnol, en tout cas, ce n´est point une
projection à travers les Pyrénées, mais les Alpes; ce n´est point une
projection nationale, mais personnelle.
Un autre détail curieux: c´est sur la demande de Louis XIV que le pape
Innocent XI ordonna d´arrêter et de mettre en prison notre compatriote en 1685; c´est à dire, le même an de la révocation de l´Édit de Nantes.
Du zèle pour la pureté de la foi, comme dans le cas de l´arrêt de
l´archevêque Carranza par Philippe II… ? Mais Louis XIV, défenseur de la
Foi..! C´est drôle. L´amant de la Montespan n´eut jamais de la foi que dans les
jupons, et le jupon d´alors s´appelait Madame Maintenon.
D´ailleurs, voici une autre curiosité bien étonnante: le quiétisme que
Madame Guyon commença à répandre à Paris en 1687, le même an précisément de la
condamnation de Molinos par Innocent XI, et qu´elle exposa en 1689 dans le «Moyen
court de faire oraison», eût aux débuts comme protecteur dans la Cour la même
veuve de Scarron. Ainsi on explique que l´archevêque Harlay qui l´avait faite
enfermer dans quelque couvent, lors de son arrivée à Paris, au retour de sa tournée
théologique en Franche-Comté, au Piémont et en Savoie, eût à laisser en liberté
notre missionnaire, au bout de huit mois. Son directeur spirituel, le barnabite
P. Lacombe, maniait bien les fils de l´influence.
Mais là où l´archevêque de Paris ne sût pas réunir, l´évêque de Chartres,
Godet Desmarais, réussit totalement. C´est celui-ci, en effet, le premier qui
dénonça l´affinité des doctrines de Madame Guyon avec le quiétisme de Molinos
et c´est sur sa demande qu´en 1695 on célébra la réunion ecclésiastique d´Yssy
pour examiner la vie et les théories de Jeanne Marie Bouvier de la Motte.
Bossuet se trouvait là. Fénelon aussi. Et c´est l´Aigle de Meaux qui fit
promettre à Madame Guyon, après la souscription des 34 articles d´Yssy, que
désormais, elle s´abstiendrait de dogmatiser.
D´autre part, tous les réunis reconnurent l´innocence des mœurs de Madame.
Son portrait gravé par Bassin, reflète certes partout de la candeur et de la
bonté. Et c´est peut-être pour cela que Fénelon, âme mystique et sensible, prît
la défense de Madame. Alors la querelle quiétiste dégénéra en un duel
théologique entre Bossuet et Fénelon. En 1697, l´archevêque de Cambrais publia
son opuscule «Explication des Maximes des Saints». Bossuet lui répliqua par la
«Relation sur le quiétisme». Et ainsi la question continua envenimée jusque
1699. C´est alors –le 10 mars- que le pape, Innocent XII, condamna 23
propositions, tirées des «Maximes des Saints» et dénoncées par Bossuet comme
hérétiques. Fénelon s´y soumit. Il fut chassé de la Cour et donnant un exemple
extraordinaire d´humilité chrétienne, lui-même lut dans son église de Cambrais
la condamnation pontificale.
D´ailleurs, la disgrâce courtisane de Fénelon était décidée d´avance.
L´apparition antérieure du «Télémaque» qui cachait une critique vaillante de
l´absolutisme de Louis XIV avait fait trop de sensation dans la Cour pour ne
pas conquérir au Prélat le ressentiment du Roi-Soleil et de tout son système
planétaire. Donc l´insigne précepteur du duc de Bourgogne fut exilé à son
diocèse, non pour mauvais chrétien mais pour mauvais courtisan. Jacques Bénigne
Bossuet avait un peu plus de tact!
Naturellement le sort de Madame Guyon
ne fut pas meilleur. Ayant repris secrètement sa propagande dans le faubourg
parisien de Saint-Antoine, elle fut enfermée à Vincennes, pas à la Bastille.
Toutefois, peu de temps après, elle obtint la liberté. Mais elle y est à
nouveau emprisonnée lors de l´apparition de «Maximes des Saint». A la fin, on
la laissa définitivement en paix en 1702. Et elle est décédée en 1717 dans sa
retraite de Bois, non sans avoir contesté sincèrement sa soumission à l´Eglise.
Deux années avant, son avocat Fénelon était mort aussi à Cambrais; et depuis
une vingtaine d´années son inspirateur Miguel de Molinos, s´était de même
éteint obscurément dans le couvent de Saint-Pierre en Montorio.
La disparition de ces trois personnages n´éteint pas de même, tout de
suite, les tendances quiétistes parmi les mystiques de l´époque; mais le
quiétisme s´efface de l´Histoire.
Et bien, pourquoi bon cette bagarre théologique? Qu´est-ce que le quiétisme..?
Pour bien comprendre un événement historique, il faut se situer dans le
temps où il est arrivé. A la deuxième moitié du XVIIe siècle, la théologie
retient encore en Europe le spectre intellectuel. Bacon et Descartes ont ouvert
une large brèche dans la forteresse scholastique préconisant une révision des
connaissances humaines et signalant l´expérience et la raison comme les guides
de la nouvelle organisation scientifique. Mais la foi n´a pas encore perdu son
prestige universel. D´autre part, si les guerres religieuses sont finies sur le
Contient, comme le traité de Wesphalie ne représente pas une vraie solution du
problème religieux de l´Europe, mais une transaction entre les partis
combattants, à base de la liberté de conscience, c´est-à-dire de la
reconnaissance officielle de la rupture définitive de l´unité spirituelle de la
chrétienté, les partisans confessionnels, ne déposent enfin les armes de combat
que pour prendre tout de suite celles de la polémique. Jurieu et Bossuet
disputent. Un troisième disident, le jansénisme, paraît alors dans la scène.
Protestants catholiques et port-royalistes provoquent un pêle-mêle formidable.
Et on parle alors sur la grâce et la prédestination, même dans le salon de
Minon Lenclos.
Pour combler le tapage, le régalisme discute avec le Pape. Innocent XI,
ex-soldat à la Guerre des Trente Ans, excommunie sans égards le Marquis de
Lavardin, chargé par Louis XIV d´employer les armes pour la franchise des
ambassadeurs; annule la déclaration du Clergé français et refuse les bulles à
tous les évêques, élus parmi les membres de l´assemblée de 1682. Les questions
religieuses sont donc à l´ordre du jour. Saturation d´esprit religieux? Hélas!
Point.
Les mœurs ne sont pas trop exemplaires. La Cour même est une maison de
tolérance, et alors que le Marquis de Montespan se vêt de deuil et fait
promener ses carrosses dans Paris, ornés de cornes et de crêpes noirs, tout le
troupeau courtisan proteste contre l´insolence du Marquis qui ne sait pas
reconnaître la faveur que le roi le fait, en lui dérobant sa belle femme…
Mais quoi! Le même Bossuet n´enseignait-il pas au Dauphin que les Rois sont
maîtres absolus des bien de ses sujets et peuvent en disposer comme de prudents
administrateurs,… ?[2]
Dame! la femme du prochain est aussi un de ces bien à administrer…!
Oui. Cette société est sans doute croyante, mais non pratiquante. La
Majesté l´Hypocrisie partage le trône avec le Roi. D´où le succès éclatant de
Tartufe. Molière faisait simplement le portrait de son époque…
Des détails curieux: la scène de Tartufe et Elvire Molière l´avait empruntée
à son amie Minon, à propos de quelque incident galant avec un curé peu continent;
et le célèbre commentaire «le pauvre homme!», c´était-on dit du même Louis XIV
à propos de Mgr Péréfixe, évêque de Rodez et… patriarche de Gourmandise…
Pas de vraie religiosité. Du byzantinisme seulement. Et du byzantinisme
dans toute son étendue, parce que comme à Byzance, on alterne le luxe, la
corruption et la frivolité avec les querelles religieuses et partisanes.
Pour compléter le tableau, le quiétisme entre en scène. Coïncidence
étonnante! Dans le XIVe siècle, Byzance avait aussi supporté, pendant dix années,
les troubles de quelque quiétistes originaux: les hésychastes ou
omphalopsychites, qui prétendaient qu´en restant immobiles, les yeux fixés sur
le nombril, ils voyaient émaner de leur corps une lueur mystérieuse, ressemblante
à celle qui éclaira le Christ sur la montagne du Thabor…!
Mais le quiétisme du XVIIe siècle ne pouvait point être aussi grossier que
celui du XIVe siècle. L´éclat du roi-Soleil n´était point capable d´illuminer
aussi le nombril de ses sujets et Fénelon n´était pas non plus un Grégoire
Palamas…
Quelle était donc la signification théologique et historique du quiétisme
de Molinos de Madame Guyon et de Fénélon?
D´abord, dans la carte des courants spirituels qui agitent la chrétienté à
travers l´Histoire, le quiétisme du XVIIe siècle représente un courant mystique
manqué et égaré.
En effet, tant pour Molinos comme pour Madame Guyon, le quiétisme: est une
attitude mystique qui laisse de côté l´ascétisme. Dans Molinos expressément;
dans Madame Guyon, implicitement.
D´après Molinos, l´âme parvenue à l´état de perfection, devient
indifférente à tout, même à son propre salut; et alors elle sait recevoir les
impressions sensibles même les plus opposées à la loi divine, sans commettre
aucun péché.
C´est à peu près la même doctrine des bégards; condamnés sous Clément II
par le Concile de Vienne en 1311. Car les bégards soutenaient aussi que l´homme
est capable d´atteindre en cette vie un tel degré de perfection qu´il peut
devenir impeccable. Alors les sens sont si soumis à l´esprit que l´on peut
concéder au corps tout ce que le corps demande. Et en effet, les bégards
appliquèrent si scandaleusement ces théories que le mot bégard reste à présent
aux dictionnaires européens, comme synonyme de personne dissolue et fainéante.
Sans doute, Molinos ne prétendait pas donner cette portée à sa doctrine,
puisqu´il allait jusqu´à proposer même l´anéantissement personnel, une espèce
de nirvana, pour se joindre à la Divinité. Voilà par exemple une des
conclusions de son «Guide spirituel»: «Aspire donc à t´absorber dans le Néant,
à descendre en lui comme dans un abîme et t´y perdre, si tu veux t´unir avec
Dieux et te transformer en lui!»
Le quiétisme de Madame Guyon n´avait point une apparence si doctrinale, et
elle se bornait à répandre la pratique d´un amour de Dieu; dégagé de toute
alliance temporelle. D´après Madame Guyon, la meilleure pitié c´était d´aimer
Dieu avec une espèce d´abandon total, ainsi que l´enfant aime sa maman. Alors
les actes de la religion, même la prière devenaient presque indifférents.
On voit donc que la conclusion de Jeanne Marie Bouvier de la Motte était au
bout de compte la même de Molinos: le déplacement de l´ascétisme comme
complément de la contemplation.
Et voilà précisément l´erreur capitale du quiétisme, car ce déplacement est
inadmissible, soit au point de vue mystique, soit au point de vue moral.
En effet, quelle est la conception juste du mysticisme… ? Nous allons
l´exposer succinctement.
Pour devenir juste au point de vue religieux, c´est-à-dire, pour atteindre
la perfection surnaturelle, il y a pour l´homme deux chemins: l´un court,
l´union directe de l´homme avec la Divinité; l´autre, long: les exercices de piété,
la pratique de la vertu. Le premier chemin est le mysticisme; le deuxième,
l´ascétisme. Ce sont des chemins différents, mais convergents: le point de
départ et le point d´arrivée sont les mêmes. Rapportés entre soi, l´ascétisme
se trouve à la base du mysticisme et le mysticisme, au sommet de l´ascétisme.
Le mysticisme exige donc l´ascétisme, et à son tour, l´ascétisme est comblé par
le mysticisme. D´où tout ascète n´est pas nécessairement un mystique. L´extase
est l´ordinaire le prix de la vertu.
«D´ordinaire…», que l´on remarque bien, parce qu´extraordinairement,
l´extase peut être aussi le coup de foudre de la grâce efficace, indicatif de
la prédestination, comme dans le cas de Saint Paul à la route de Damas. Mais ça
n´est pas le règle générale; c´est l´exception. Et en tout cas, l´initié à la
vie mystique par un coup de ce genre, devient aussitôt un converti qui marche
désormais sur le chemin de la vertu. Alors l´activité vertueuse non seulement
n´est pas opposée à la contemplation mystique, mais elle devient essentielle.
Bien entendu, tout mystique est naturellement un quiétiste; mais c´est une
quiétude seulement circonstantielle, transitoire, tandis que l´extase dure,
puisque l´extase n´est pas un état permanent. Cette permanence répugne aux lois
biologiques. Et bien, lorsque le mystique sort de son extase, il sort aussi de
l´inaction contemplative et devient un activiste, vertueux, c´est-à-dire, un
ascète. L´exemple de mon illustre compatriote Sainte Thérèse de Jésus –«la
monja andariega», écrivain et réformatrice de premier rang et peut-être la
première extatique du monde- est bien frappant.
En conséquence, le quiétisme systématique, intégral, comme attitude
permanente de l´homme par rapport à la divinité, est aussi absurde et
inadmissible au point de vue de la religion, que l´immobilité absolue au point
de vue de la Biologie.
D´où l´erreur de Molinos et Madame Guyon, préconisant un mysticisme, dégagé
de l´ascétisme. Car si l´extatique est juste, il faut que les intervalles non
contemplatifs soient forcément d´activité juste, c´est-à-dire, ascétique, parce
que d´une part, il n´y a point d´action, indifférente, au point de vue morale,
ni religieuse –on parle naturellement d´actions, vraiment, humaines,
c´est-à-dire libres, et pas d´actes exclusivement biologiques -, et d´autre
part, il est contradictoire de supposer qu´elles puissent être des péchés, dans
l´hypothèse d´un juste vrai.
Le quiétisme est donc un mysticisme faux, tangent du protestantisme et du
jansénisme en ce point fort transcendant: les œuvres. Dans les trois cas, il
s´agit d´une supervalorisation de la grâce divine et d´une sousestimation de la
coopération individuelle.
Pour les protestants cette grâce s´appelle foi: pour les jansénistes, grâce
efficace; pour les quiétistes, extase.
Ce n´est point donc étonnant qu´ainsi que le quiétisme fit son apparition,
alors que la polémique entre protestants et jansénistes faisait rage dans les
cercles catholiques, l´Eglise anathématisât à court délai, les doctrines de
Molinos et Madame Guyon, au point de vue de sa théorie du salut par les œuvres.
Le plus drôle du cas est que la justification historique de ces doctrines c´était
une tentative d´amélioration du milieu religieux et moral de son âge, éloigné
des idéals de l´Evangile. Aussi la Réforme disait se révolter contre la
corruption de la Cour romaine, et la plus violente diatribe de Luther contre
l´Eglise portait ce titre significatif, «De captivitate Babyloniae». Port Royal
se soutenait contre le casuisme relâché des jésuites; et le livre le plus célèbre
du jansénisme reste les «Provinciales». Du catholicisme de Pascal. Et enfin, le
quiétisme, sans s´insurger contre personne -une rébellion statique est un
contresens!- prétendait pourtant à élever le niveau religieux et moral de la
société tartufe de son époque préconisait le mépris, de tout le terrestre et
l´amour directe avec la Divinité.
Or le jansénisme et le quiétisme ont vécu déjà. Ils n´ont point d´influence
sur la société contemporaine. Par contre, le protestantisme reste encore, et la
principale objection contre lui de la part des théologiens catholiques,
continue à être la prétendue immoralité de sa théorie fondamentale de la
justification par la foi. Le reproche est-il justifié. Dans le «Catéchisme» du
pasteur Bonnefon, le texte le plus répandu parmi les protestants français, on
demande: «Faut-il donc croire que les oeuvres n´ont pas de place dans la foi
protestante?» Et voici la réponse: «Nous ne croyons pas que les bonnes œuvres
puissent nous gagner le ciel, puisque c´est par le sacrifice de Jésus-Christ
que nous sommes sauvés; mais nous croyons que les bonnes ouvres sont
inséparables de la foi sincère en Jésus-Christ. Manque de logique de la part
des reformes… ? Peut-être. Mais en tout cas, il ne me semble pas tout
juste exprimer contre ceux-là, comme ils font les auteurs modernes de Traités
de Théologie catholique qui ont appris aux séminaires le texte concluant de
Saint Jacques, «Fides sine operibus morteia est[3]»
Mais laissons de côté les digressions.
Si le quiétisme théologique–chrétien appartient déjà à l´ histoire, il
reste pourtant dans le continent asiatique quelque quiétisme vivant beaucoup
plus intéressant: le bouddhiste.
Et bien qu´est-ce que le quiétisme bouddhiste…?
Avec la doctrine de Bouddha il s´est passé à peu près ce qui s´est passé
avec la doctrine de Jésus. Le bouddhisme actuel dans ses différentes branches,
n´est point la doctrine pure de Siddharta Gautama, comme le christianisme
actuel dans ses diverses églises, n´est point non plus la doctrine pure de Jésus-Christ.
Nous allons donc nous en tenir aux renseignements du canon Pâli, qui est la
collection la plus authentique des doctrines de Cakia-Mouni.
D´abord le quiétisme bouddhiste n´est pas théologique mais philosophique.
Certes le bouddhisme actuel est une religion avec ses bonzes et bonzesses et
470 millions de fidèles; mais Siddharta
Gautama ne prêcha aucune religion.
Pour Bouddha, comme pour Socrate, le problème primordial de la Philosophie
n´est pas «Qu´est-ce que c´est le monde? », mais bien «Qu´est-ce que c´est
le Moi? » Et sa réponse est une première formule métaphysique de
renoncement individuel.
En effet, le Moi, d´après Bouddha n´est pas: 1) le monde extérieur,
c´est-à-dire, le monde des objets, des sens; 2) ni les idées; 3) ni le corps;
4) ni la cognition; 5) ni la volonté, c´est-à-dire, l´appareil volitif
individuel; 6) ni l´âme ou entité spirituelle. Tous ces facteurs sont
simplement «Upadhi» ou attributs du Moi, mais pas ses éléments essentiels. Leur
somme constitue le Non-Moi. Et cette doctrine négative du Moi s´appelle dans le
boudhisme, «Anatta» ou «Pas le Moi». La conséquence capitale que Bouddha tire
de la doctrine de l´Anatta, c´est que l´organisme corporel est quelque chose de
totalement étranger pour nous; que le commencement et la fin de ce corps ne
sont pas ni peuvent être mon commencement ni ma fin.
Alors quelle est l´essence du Moi? Moi je suis fondamentalement une volonté;
non précisément un appareil volitif personnel, mais une volonté permanente de
vivre. C´est cette volonté qui se lance à prendre possession de mon actuel
corps; qui alors que ce corps mourra, prendra de même possession d´un autre
corps, et qui avant de posséder l´actuel, elle posséda déjà d´autres nombreux
et elle tournera encore à prendre davantage. Dans un cycle infini de
renaissance.
D´après Bouddha, la volonté de vivre assure la vie, et l´infinité du monde
mesure notre propre grandeur qui le surpasse toujours.
Mais, cette Volonté de vivre, incarnée dans une existence individuelle est
toujours une source de souffrance continuelle. D´où mon moi est nécessairement
un moi souffrant. Pourquoi? Parce que d´une part, la douleur a son origine dans
le désir, et le désir ou soif de sensations (le Tauha) est naturel à l´homme,
et d´autre part, parce que mon moi est l´héritier forcé des souffrances
accumulées par la volonté de vivre à travers ses infinies existences. D´où
l´affirmation de Bouddha: «Seule la souffrance naît lorsque quelque chose naît;
seule la souffrance périt, lorsque quelque chose périt».
Alors si le désir est l´origine de la souffrance, la béatitude consistera
dans la destruction du désir, c´est-à-dire, dans le Mon-vouloir. Et comme le
désir naît de la connaissance, la béatitude consistera de plus à nous délivrer
de la nécessité d´employer notre appareil de connaissance. Celui qui réussit à
se délivrer de tout cela, atteint la vertu de la sérénité et devint une Liberté,
c´est-a-dire, un Saint, c´est-à-dire, un Beate. D´où la sainteté et la béatitude
consistent, d´après le bouddhisme, dans le quiétisme intégral, dans le transit
du Moi souffrant au Moi Triomphant, c´est-à-dire, triomphant du désir et de la
connaissance.
Mais «comment faut-il avoir une béatitude, là où il n´y a plus de sensation?
Qu´il n´ait plus de sensation ceci est justement la béatitude, ami»[4]
D´ailleurs, voici résumé le procès de la sainteté bouddhiste tel comme le
décrit le Majjhima–Nikaya : «Aucun objet ne vaut qu´on le désire. Quand le
moine a entendu cela, il regarde chaque objet. En regardant chaque objet, il
pénètre chaque objet. Et pénétrant chaque objet, il voit dans tout ce qu´il
ressent l´instabilité, la caducité, l´effondrement, la disparition. Et voyant
partout l´instabilité, la caducité, l´effondrement, la disparition, il ne se
cramponne plus à quoi que ce soit dans le monde. Ainsi, il parvient à
l´extinction du désir, de la soif (Nibbâna). Voici, qu´il reconnaît alors: la
renaissance est anéantie, la sainte vie est assommée, j´ai fait ce que je
devais faire, je n´ai plus rien de commun avec cet ordre des choses. C´est
ainsi qu´un moine est délivré par l´anéantissement du désir, c´est ainsi qu´il
atteint l´état de sécurité parfaite, arrive au sommet de la sainteté, au but
final et devient supérieur aux hommes et aux dieux[5]».
Alors, qu´est-ce que la Mort pour le bouddhisme? Pas l´anéantissement, mais
la retraite au plus profond de l´être liberé de ses attributs. Peu avant de
mourir, Bouddha dit à ses disciples: «Vous quittant, je m´en vais, je recours à
moi-même».
Ainsi le Moi Triomphant sur le Moi souffrant, se métamorphose finalement
par la Mort dans le Moi Éteint, dernière phase de la transformation de
l´existence individuelle. Alors, le quiétisme devient absolu.
Voilà une exposition synthétique des doctrines de bouddhisme.
Sa critique? Il n´est pas question maintenant de montrer au détail les
faiblesses de ce quiétisme pas mal construit au point de vue systématique. Mais
c´est évident que sa conception du Moi et sa théorie des renaissances, par
exemple, ne résistent pas à un examen philosophique élémentaire.
Une doctrine pareille à celle-ci a été exposée génialement le siècle passé
par un célèbre philosophe allemand, admirateur du bouddhisme. Arthur
Schopenhauer, dans son fameux ouvrage «Le monde comme volonté et comme
Représentation». Pour Schopenhauer, le monde est une représentation,
c´est-à-dire on ne peut le concevoir autrement que comme représenté dans une
intelligence. Le substratum de ce monde phénoménal est la Volonté, laquelle,
d´après sa conception est une force qui dans les êtres vivants s´oppose
naturellement aux causes de destruction et se manifeste par le vouloir–vivre.
L´intelligence même n´est qu´une servante du vouloir-vivre. Mais c´est par
elle que l´homme se libérera de celui-ci lorsqu´il aura composés que le mal et
la souffrance accompagnent toute vie et tout effort. Comment? Par la chasteté,
qui nie l´espèce, et par l´ascétisme, qui tarit le torrent tumultueux des désirs
et des passions. Alors l´homme pourra et devra se réfugier dans le nirvana, tel
qu´a été exposé par les philosophes de l´Inde.
Comme on voit Schopenhauer aboutit à la même conclusion de Bouddha par un
chemin un peu différent.
D´ailleurs, en recherchant par l´Histoire de la Philosophie, ce ne serait
point difficile de trouver encore des tendances au quiétisme plus ou moins
aigües et remarquables. Par exemple, parmi les stoïciens. Leur apathie ou
indifférence en ce qui concerne les choses extérieures, comme un idéal de
conduite, n´est-elle pas un vrai point de tangence avec le désintéressement
terrestre, préconisé par Bouddha, par Molinos et Madame Guyon ?
Voici aussi la théodicée quiétiste d´Angelus Silesius: «Quelle est la
qualité de Dieu ? N´avoir rien, ne vouloir rien, ne savoir rien».
Et la morale du renoncement du Maître Tekhart, «Ce qui est sur toi et dans
toi tout cela est maladif et corrompu. C´est pourquoi il faut que tu le vides
de tout ce qui est créé. Il te faut donc séjourner dans ton essence, dans ton
fond, y habiter. Enfin, notre Azorin, dans Lecturas
españolas, pour concréter la pensée philosophique de notre Pi y Margall,
cite un passage d´un opuscule de celui-ci, qui constitue une vraie profession
de fois quiétiste. Ce n´est point d´autre part, surprenant étant donnée la
conception moniste du monde, propre des systèmes panthéistes. C´est pour cela
que la plupart des philosophes panthéistes ont des tendances quiétistes, depuis
les néoplatoniciens jusqu´aux Krausistes. Le panthéiste tend en effet à se
submerger dans l´infini cosmique comme le mystique dans le sein de la Divinité.
Plotin mourant prononça cette phrase historique: «Je vais porter ce qui a de
divin dans nous à ce qui a de divin dans l´Univers».
D´ailleurs, qui n´a pas éprouvé quelquefois ce désir si profond de trouver
le repos absolu se débarrassant d´une façon définitive de la charge mystérieuse
d´angoisse qui torture nos pauvres existences…? Combien de fois, sous la voûte
étoilée de l´immense firmament ou en face du miroir émeraude de l´immense
océan, n´ai-je senti de même les eaux azurées de la mer ou dans la poussière
argentée du tourbillon des astres. Le repas, le quiétisme, la paix.
Aspiration profonde de nos âmes inquiètes… !
[1] “Pour en sortir”, Paris,
1926.
[2] “Politique tirée de l´Écriture
sainte”.
[3] “Catéchisme élémentaire”
par H. Bonnefon, 21 édition, Paris, 1937.
[4] Anguttara – Mikaya, V. p.
414.
[5] Majjhima – Mikâya, I, p.
251.
Traducción en español, seguido del texto original en francés.
Texte en espagnol, suivi du texte originel en français
Nochebuena
del Prisionero
Manuel
García Sesma
(Campo
de Trabajo de Saint-Maurice d´Ibie)
A los
habitantes del municipio de Saint-Maurice d´Ibie con ocasión de la Nochebuena de
1941. 24 de diciembre de 1940.
¿Navidades? En el
Stalag no se conocen estas fiestas. Ni vacaciones ni días de trabajo. Días de
cautiverio. Sencillamente.
En lo alto,
los discos del Sol y de la Luna, completando cada jornada silenciosamente, con
indiferencia, sus días eternos, a través de un horizonte estrecho, cortado en
los ojos del Cautivo, por una larga alambrada. Debajo, un rebaño de espectros
humanos, encerrados en sucios establos, bajo la custodia de bayonetas
amenazadoras…
¿Qué crimen horrible y execrable han cometido, todos esos
hombres, para ser tratados como bestias feroces?
Unos meses antes, han intentado defender su país, sus
hogares, sus familias. Eso es todo. Pero, desgraciadamente, no lo han
conseguido. Y es por esto por lo que ahora están considerados como corderos,
que arrastran sus harapos como mendigos, que comen como cerdos, que son comidos
por los piojos como perros miserables. Cautividad quiere decir todo esto:
esclavitud, pobreza, abandono, desesperanza…
¿Desesperanza también?... Oh, no. Rectifiquemos. Como el
creyente musulmán que mira hacia la Meca, el cautivo vuelve también cada día
sus ojos febriles hacia el horizonte occidental. El Occidente es para él
Francia: es decir la Esperanza. Y Francia es la libertad, es la felicidad, es
el trabajo. Francia es el pueblo natal, el hogar, la madre, la mujer, los hijos.
Francia es la patria, es decir la musa de todos los seres y de todas las cosas
especialmente queridas.
Es por esta razón este día de Nochebuena, si es en
apariencia, fuera, exteriormente, una jornada tan insípida como todas, no lo es
dentro, interiormente, en la conciencia de cada prisionero. Y a medida que cae
la tarde se observa sobre los rostros graves una sombra extraña y como un
semblante creciente de melancolía, de preocupación y de morriña.
Incluso Gastón – este joven corpulento, optimista, y hablador
– muestra esta tarde una reserva sospechosa, reveladora de una turbación
misteriosa, profunda, pero evidente.
¿Por qué?
Gastón es un campesino, un campesino ardéchois. Del
Bas-Vivarais. Cuando vino la guerra, se enroló en un regimiento de Infantería. Y
le hicieron prisionero en el frente de la Somme. Era el 10 de Junio.
A las dos de la tarde.
A las tres, formaba parte ya de una columna de
prisioneros que se dirigía al cautiverio. Para comenzar, 25 kilómetros a pie.
Sin parar. Sin contemplaciones ni para los débiles ni para las personas
mayores.
¿Ninguna contemplación para un prisionero...? Pero un
prisionero no es un hombre. Es simplemente un número. Y como tal, se le borra
tranquilamente en caso de necesidad…
Las caminatas continuaron unos días más. Por
supuesto, a un ritmo acelerado. Y hasta Alemania.
Por otra parte el cortejo del viático era extraño.
Para la jornada entera, unas onzas de pan y conservas. Basta. Durante la noche,
algunas horas de reposo en el patio de un cuartel o en el suelo de un garaje.
Cuando, por fin, llegó al campo, se creyó liberado
de un horrible mal sueño: el mal sueño de las marchas. Y sin embargo el
horrible stalag le pareció incluso aceptable. Al meno no se moriría de
cansancio.
¡Por supuesto que no...!
Moriría ahora de no estar parado, de hambre, de
suciedad, de frío, de piojos, de aburrimiento, de dolor de cabeza…
Pero Gastón, el campesino ardechois, soportaba todo
esto estoicamente. El Ardechois es duro como su tierra, como la roca de sus
montañas. En los momentos más difíciles, nadie le había visto todavía perder su
serenidad ni su humor habitual. Sin embargo aquella noche de Nochebuena no
parecía normal.
Una sombra de tristeza velaba sus ojos azules
claros. ¿Era el cansancio…?
Primero, sin decir nada, sin hablar como de
costumbre con sus camaradas, se acostó aquella noche muy pronto. Sin embargo,
al amanecer del día siguiente, estaba todavía despierto. No había podido
conciliar el sueño.
¿Por qué?
Le venían los recuerdos, los recuerdos… ¿Cuáles...?
Gastón estaba casado. Allí lejos, en su pueblo
natal, se habían quedado su joven mujer y sus dos hijos. La mujer era
trabajadora y valiente, como la mayor parte de las chicas del Ardèche. Pero al
fin y al cabo, ella era sólo una mujer. Los niños – Arlette et Janot – tenían 7
y 5 años. Gastón guardaba los retratos de su familia y los miraba a menudo. Sin
embargo ese día, los había mirado varias veces. En ese momento de la noche,
Gastón deseaba sobre todo dormir. Se olvida durmiendo. Pero Gastón no podía
olvidar; tampoco esto le dejaba conciliar el sueño.
Se acordaba, se acordaba… ¿De qué...?
Antes, esta noche era la fiesta mayor de su feliz hogar;
se reunían en familia: los abuelos, los padres, los hermanos habían preparado a
escondidas el árbol de Navidad para los dos niños. Después cenaban
magníficamente. A los postres, la sorpresa: el árbol clásico. Era el momento
divino, para los niños. Arlette et Janot saltaban, gritaban, se reían a
carcajadas de felicidad y de alegría. Los pequeños estaban radiantes.
Brindaban, cantaban, danzaban, se divertían, comían turrón sin parar, los
licores, la alegría. Sí: Gastón se acordaba de eso.
Y comparaba también. No podía evitar comparar las
navidades de antes con la Nochebuena de aquel año. Aquella noche, Arlette y
Janot no tendrían juguetes, ni pasteles, ni siquiera, probablemente, árbol de
Navidad. Aquella noche, Charlotte – su bella mujer – no sería feliz. Aquella
noche, en su hogar, no sería una velada de fiesta, sino de duelo…
Sí, Gastón quería dormirse. El sueño sirve para olvidar.
Pero aquella noche, el desgraciado no sabía ni olvidar ni dormir…
****
24 de diciembre de 1941
Gaston no está ya en el antiguo stalag. Trabaja ahora en
una granja. Y cena esta noche en casa de la granjera. Le han invitado por
caridad. La comida es frugal y apagada. La granjera tiene tres hijos y una mamá
mayor. El año anterior, los hijos de la granjera habían tenido juguetes en
París, pasteles de Amsterdam, flores de Luxemburgo, vestido de Bruselas, caperuzas
de Noruega.
¡Eran los niños del vencedor…!
Sin embargo aquella Nochebuena no tenía ninguno de
aquellos regalos variados. Justo lo mismo que los niños de los vencidos. Ni
juguetes, ni golosinas, ni flores, ni caperuzas. En una palabra: no había
fiesta.
Entonces Gastón se acuerda de su hogar ardéchois, y
se consuela. Entre éste y aquél, entre los hogares de los vencedores y el de
los vencidos no había ninguna diferencia…
¿Más…? Sí: una. Vive todavía. Sus hijos tienen
todavía padre. Por el contrario, ¿los pobres niños de su patrona lo tienen
todavía...?
El granjero se encuentra en el frente del Este. Por
aquellos días los periódicos hablan de 50 grados de temperatura, de combates
encarnizados, de repliegues estratégicos, de un frío terrible…
Gastón conoce perfectamente el valor dramático de
estas palabras… Olvida entonces un momento a su mujer, a sus hijos, mira con
piedad e incluso con ternura a la familia de su enemigo.
¿De su enemigo...? ¿ Por qué…?
¿Por qué razón, dos pobres campesinos, que no se
conocen de nada, que no se han visto nunca, que no saben sino cultivar
trabajosamente sus tierras, y educar honestamente a su familia, por qué estos
hombres serían enemigos?
¿Quizás sus hijos, sus mujeres, ellos mismos, no son
también víctimas de la locura, de la ambición y de la maldad de otros hombres…?
Gastón está turbado pero oculta discretamente su
emoción. Después de la comida, juega afectuosamente con los niños de la
campesina, y prodiga palabras de esperanza a las dos mujeres. En fin, un poco
antes de medianoche, se despide y se va.
Fuera, la noche es fría y estrellada. El viento silba. Se
escucha confusamente el repique de campanas. Es la misa de medianoche. Gastón está
sobrecogido por una profunda emoción religiosa. Y, con todo su corazón, eleva
al cielo, como una oración de angustia y de esperanza, la palabra legendaria
que, justo aquella noche, hace 1941 años, descendía a la tierra como un mensaje
angelical de alegría:
“Gloria a Dios en
las alturas
Y paz en la tierra
A los hombres de
buena voluntad”
Le Noël du Prisonnier
Aux
villageois de Saint Maurice d´Ibie à l´occasion de la Noël 1941
24 décembre
1940
Manuel G. Sesma
Noël...? Au Stalag on ne connaît pas les fêtes. Pas de
jours fériés et de jours de travail. Des jours de captivité. Tout
simplement.
En haut, les disques
du Soleil et de la Lune, faisant chaque journée
silencieusement, indifféremment, leurs jours éternels, à travers un
horizon étroit, coupé aux yeux du Captif, par une longue grille de ...
barbelés... En bas, un troupeau de spectres humains, enfermés dans de sales
étables, sous la garde des baïonnettes menaçantes...
Quel crime horrible et exécrable on-ils commis, tous ces
hommes, pour être traités comme des bêtes féroces...?
Quelques mois avant, ils ont essayé de défendre leur
pays, leurs foyers, leurs familles. Voilà
tout. Mais, hélas! ils n´y ont pas réussi. Et c´est pour cela qu´ils sont à
présent établis comme des moutons, qu´ils traînent des haillons comme des
mendiants, qu´ils mangent, des rendus comme des cochons, qu´ils sont rongés de
poux comme des chiens misérables. Captivité veut dire tout cela: esclavage,
disette, misère, abandon, désespérance...
Désespérance aussi?... Oh! non. Rectifions. Comme le
croyant musulman vers la Mecque, le captif tourne aussi chaque jour ses yeux
fiévreux vers l´horizon occidental. L´Occident est pour lui la France:
c´est-à-dire l´Espérance. Et la France
c´est la liberté, c´est le bonheur, c´est le travail. La France c´est le
village natal, c´est le foyer, c´est la mère, c´est la femme, ce sont les
enfants. La France c´est la patrie, c´est-à-dire la somme de tous les êtres et
de toutes les choses spécialement chéries.
C´est pour cela que ce jour de Noël, s´il est en
apparence, dehors, extérieurement, une journée fade comme toutes les autres, il
ne l´est pas dedans, intérieurement, dans la conscience de chaque prisonnier.
Et au fur et à mesure que le soir tombe on remarque sur les graves visages une
ombre étrange et comme un air croissant de mélancolie, de préoccupation et de
cafard.
Même Gaston, -ce jeune homme corpulent, optimiste, et
bavard– montre ce soir une réserve suspecte, révélatrice d´un trouble
mystérieux, profond, mais évident.
Pourquoi...?
Gaston est un paysan, un paysan ardéchois. Du
Bas-Vivarais. Lors de la guerre, il
était engagé dans un régiment d´Infanterie. Et il est fait prisonnier sur le front de la Somme. C´était le 10 Juin.
A 2 heures du soir.
A 3 heures, il marchait déjà encadré dans une colonne de
prisonniers en route vers la captivité. Pour commencer, 25 kilomètres à pied.
Sans arrêt. Sans égards pour les faibles ou les âgés.
Pas d´égards pour un prisonnier...? Mais un prisonnier
n´est pas un homme. C´est simplement un numéro. Et comme tel, il est effacé
tranquillement le cas échéant…
Les marches continuèrent pendant quelques jours. Bien
entendu, à un rythme plus accéléré. Et jusqu´en
Allemagne.
D´ailleurs le viatique était bizarre. Pour chaque
journée, quelques onces de pain et des conserves. Ça suffit. Pendant la nuit,
quelques heures de repos dans la cour d´une caserne ou sur le sol d´un garage.
Quand enfin il arriva au camp, il se crut libéré d´un
affreux cauchemar: le cauchemar des marches. Et cependant l´horrible stalag lui
parut même acceptable. Du moins il ne
crèverait pas de fatigue.
Ah! non, bien sûr...
Il crèverait dorénavant d´immobilité, de faim, de saleté,
de froid, de poux, d´ennui, de cafard....
Mais Gaston, le paysan ardéchois, supportait tout cela
stoïquement. L´Ardéchois est dur comme sa terre, comme la roche de ses
montagnes. Dans les moments les plus difficiles, personne ne l´avait encore vu
perdre sa sérénité ni son humeur habituelle. Cependant cette nuit de Noël il ne
paraissait pas normal.
Une ombre de tristesse voilait ses yeux bleus clairs.
Etait-ce de la fatigue...?
D´abord sans rien dire, sans bavarder comme d´habitude
avec ses camarades, il s´était couché ce soir de très bonne heure. Pourtant, à
l´aube du lendemain, il était encore éveillé. Il n´avait pas pu trouver le
sommeil.
Pourquoi...?
Gaston était marié. Là-bas, dans son village natal,
demeuraient sa jeune femme et ses deux
enfants. La femme était laborieuse et courageuse, comme la plupart des filles
de l´Ardèche. Mais au bout du compte, elle était simplement une femme. Les
enfants – Arlette et Janot – étaient âgés de sept et cinq ans. Gaston portait
sur lui les portraits de sa famille et il les regardait souvent. Pourtant en ce
jour, il les avait regardés à plusieurs reprises. En ce moment de la soirée,
Gaston souhaitait surtout dormir. On oublie en sommeillant. Mais Gaston ne
pouvait pas oublier; et c´est pour cela, qu´il ne pouvait pas non plus
s´endormir.
Il se rappelait, il se rappelait... Quoi...?
Autrefois, cette nuit c´était la fête majeure de son
heureux foyer; on s´y réunissait en famille: les aïeux, les parents, le frères
avaient préparé en cachette l´arbre de Noël pour les deux enfants. Après on
soupait magnifiquement. Au dessert, la surprise: l´arbre classique. C´était
l´instant divin pour les enfants. Arlette et Janot sautaient, criaient,
éclataient en rires de bonheur et de
joie. Les petits étaient transportés. On trinquait, on chantait, on dansait, on
s´amusait, on prodiguait le nougat, les liqueurs, la gaîté. Oui: Gaston se
souvenait, se souvenait...
Et il comparait aussi. Ah! il ne pouvait pas s´empêcher
de comparer les Noël de jadis avec le Noël d´aujourd´hui. Cette nuit, Arlette
et Janot n´auraient pas de jouets, de gâteaux, même pas, probablement, d´arbre
de Noël. Cette nuit, Charlotte –sa jolie femme– ne serait pas heureuse. Cette
nuit, dans son foyer, ce ne serait pas une soirée de fête, mais de deuil…
Oui. Gaston souhaitait dormir. On oublie en sommeillant. Mais
cette nuit, il ne savait pas le malheureux, oublier ni dormir…
****
24 Décembre 1941
Gaston ne reste plus dans l´ancien stalag. Il travaille à
présent dans une ferme. Et il soupe
cette nuit chez la fermière. On l´a
invité charitablement. Le repas est frugal et morne. La fermière a trois petits
enfants et une très vieille maman. L´année précédente, les fils de la fermière
avaient eu des jouets de Paris, des gâteaux d´Amsterdam, des fleurs du
Luxembourg, des vêtements de Bruxelles, des chaperons de Norvège.
Ah! c´étaient les enfants du vainqueur...!
Cependant ce Noël-ci ils n´avaient rien de ces dons
variés. Justement comme les enfants des vaincus. Pas de jouets, pas de gâteaux,
pas de fleurs, pas de chaperons. En un mot, pas de fête.
Alors Gaston se rappelle son foyer ardéchois, et se
console. Entre celui-là et celui-ci, entre les foyers des vainqueurs et de
vaincus, plus de différence.
Plus...? Mais si: il y en a une. Il vit encore. Ses
enfants ont encore un père. Mais les
pauvres enfants de sa patronne l´ont-ils encore...?
Le fermier est sur le front de l´Est. Ces jours-ci les
journaux parlent de 50 dégrés au-dessous de zéro, de combats acharnés, de
replis stratégiques, de froid terrible...
Gaston connaît parfaitement la valeur dramatique de ces
mots... Alors il oublie un moment sa femme et ses enfants, il regarde avec
pitié et même avec attendrissement la famille de son ennemi.
De son ennemi...? Pourquoi...?
Pour quelle raison, deux pauvres paysans, qui ne se
connaissent pas du tout, qui ne se sont jamais vus, qui ne savent que cultiver
laborieusement leurs terres, et élever honnêtement leur famille, pourquoi ces
hommes seront-ils ennemis?
Peut-être leurs fils, leurs femmes, eux-mêmes, ne
sont-ils pas aussi des victimes innocentes de la folie, de l´ambition et de la
méchanceté d´autres hommes...?
Gaston est troublé mais il cache discrètement son
émotion. Après le repas, il amuse affectueusement les enfants de la fermière,
et prodigue des mots d´espérance aux deux femmes. Enfin, un peu avant minuit,
il salue et s´en va.
Dehors la nuit est froide et étoilée. Le vent hurle. On
entend confusément carillonner. C´est la messe de minuit. Gaston est saisi tout
à coup d´une profonde émotion religieuse. Et, de tout son coeur, il élève vers
le ciel, comme une prière d´angoisse et d´espoir, la parole légendaire qui,
justement cette nuit, il y a 1941 ans, descendait vers la terre comme un
message angélique de joie:
“Gloire à Dieux
au plus haut des cieux
Et paix sur la
terre
Aux hommes de
bonne volonté”
*****
NEIGE
(Ecrite à Saint-Maurice d´Ibie, à l´occasion de la
chute de neige pendant le Noël 1940)
Saint-Maurice d´Ibie, 27 Décembre
1940
Il neige, il neige, il neige
Sur les champs de l´Ardèche...
Et c´est le blanc paysage
comme une bacchanale de colombes amantes...
comme un galop joyeux de nues jeunes filles...
comme un enivrement de belles odalisques...
comme une silencieuse pyrotechnie d´étoiles...
comme une artillerie parfumée de pétales...
comme un dévoilement de charmeuses fiancées...
comme une griserie de nymphes et de perles...
Il neige, il neige, il neige
Sur les champs de l´Ardèche...
Blancheur,
Candeur
sur les toits enfumés du village...
sur les pieds endormis des montagnes...
sur la croix de la petite église...
sur les bras du Soldat Héroïque...
sur la barbe fleurie des vieillards...
sur les verts chaperons des enfants...
et sur l´âme ancestrale et tranquille
du petit Saint-Maurice d´Ibie...
Il neige, il neige, il neige
Sur les champs de l´Ardèche...
Et il y a dans l´air
rumeur de baisers,
éclat de soupirs,
tremblement de seins,
effeuillaison de lis,
salutation des ailes.
Il neige, il neige, il neige
Sur les champs de l´Ardèche...
Blancheur,
Candeur
sur les yeux dolomie du soleil,
au soleil de tes yeux d´édelweis...
au calice des nards,
sur tes seins de diamant...
sur la gorge des mouettes...
sur ton cou de chevrette...
sur les flots de la mer...
sous tes lèvres de miel...
sur la plante des arbres
et sur les pieds de marbre...
Il neige....
Il neige...
Il
neige...
.........................
Sur mes yeux las, tes lèvres....
Et au fond de mon coeur,
une flamme, un poème,
un rubis, une fleur...
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