domingo, 13 de diciembre de 2015

Lever de Soleil sur la Loire, Saumur 1944

Lever de Soleil sur la Loire

A Madame Ivonne Rchel

Saumur, le 15 décembre 1944

Manuel G. Sesma

Si vous voulez jouir à Saumur d´un spectacle naturel ravissant,  quittez de bonne heure votre lit et allez voir le soleil sur la lame coulante de  la Loire.[1]
Pendant l´automne 1944, j´avais le plaisir d´en jouir presque tous les  matins; c´est-à-dire, les matins pas couverts. Je dois ajouter en honneur de  la vérité que je ne quittais nullement ma couche à l´aurore par pur  romantisme, mais hélas! obligé par le plus vulgaire prosaïsme. “In sudore  vultuus tui vesceris pane...[2] Voilà.  
Alors je travaillais au quartier des Ponts; c´est-à-dire, entre les deux  bras de la Loire. Justement dans l´ancienne Ile d´Or. A côté de la maison de  la Reine Yolande d´Anjou.
De la maison..?
Bien plus qu´une maison, vous êtes un autel, Palais de l´Ile d´Or...”,  a chanté une illustre écrivain. [3]
Mais oui: palais et autel à la fois. Palais de la Duchesse la plus insigne de l´Anjou; autel de la sainte la plus vénérable de la France.
C´est juste de cet endroit, à savoir de la gorge de la rue Montcel,  qu´on est le mieux placé pour contempler les levers de soleil. Du moins aux aurores automnales.
La nostalgie du soleil d´Espagne prenant certainement plus d´une fois  la Reine des Siècles, celle-ci sut bien choisir à ce sujet l´emplacement de sa demeure. Le nom sonore d´Ile d´Or fut-il jadis donné à ce parage, à cause de  l´or solaire qui l´inonde aux levers diaphanes..? Il n´est pas improbable.   
J´aime passionnement les levers de soleil. Ils comptent parmi les   spectacles les plus beaux de la Nature. Et j´aime spécialement les levers de   l´automne. Pourquoi? Parce que ceux-ci sont non seulement beaux, mais en  outre touchants. Ils traduisent dans leurs teintes la froideur de la saison et  la tristesse des paysages. Surtout les levers de soleil aux bords de la mer ou  des grandes rivières. Ils me font toujours l´impression que l´Astre-Roi a pris, avant de sortir, un bain tiède de Mélancolie. La brume qui les accompagne  très souvent, accentue encore cette expression touchante. On dirait le châle  transparent recouvrant les épaules d´une belle souffrante. Et bien, la Terre aux levers de soleil n´est-elle pas en réalité une frêle accouchée..?
Voyez pourquoi les levers de Soleil sur la Loire me saisissaient  toujours profondément. Ajoutez que l´état déprimé de mon esprit, après six  années d´esclavage et d´exil, et le panorama sinistre des quartiers  saumurois de la rive droite, tout à fait en ruines, contribuaient déjà très largement à me rendre mélancolique le paysage.
L´un de ces levers de soleil automnaux me fit particulièrement  impression: celui du 8 décembre. Je m´en souviens parfaitement. Le ciel  parut ce matin habillé de blanc et bleu, comme la fête religieuse de la  journée. Etait-ce un hommage de la Nature à la Vierge Immaculée..?
Au-dessous du Viaduc on apercevait un amas de nuages, ayant la  forme d´un escabeau. Cet amas se mit tout d´abord à rougir; puis, à jaunir,   comme les flammes d´un immense incendie. Le soleil commença par la suite à se lever sur l´horizon, comme une hostie d´or.
Cette élévation quotidienne du roi des astres n´est-elle pas aussi une  mystique offrande..?
La voûte céleste miroitait en ce moment comme un manteau d´azur,  constellé de topazes. Et sur la Loire ruisselait la lumière, ainsi qu´une  cascade pétillante de perles.
Quand le Soleil finit enfin de sortir de la Terre, il se pencha sur le  balcon du Viaduc et à l´égal d´une belle coquette, il se regarda avec volupté  dans les eaux de la rivière. Il était, certes, beau, ce matin-là, comme un  Apollon chatoyant.
Et quoi? Apollon n´est-il pas à la fois le dieu de la Beauté, de la Poésie  et du Soleil..?
Exalté par l´éblouissante féerie, je me plongeai dans une étrange  rêverie.
C´était un autre lever de soleil sur la Loire. Dans ce même parage,   mais il y a 515 ans. Une jeune fille grande et belle s´acheminait petit à petit  vers le Palais. Celui-ci n´offrait pas, c´est entendu, l´aspect délabré  d´aujourd´hui. Il venait à peine de sortir ... et beau des mains d´André  Levesque, maître d´oeuvres du Roi René. Aucun bâtiment ne lui faisait  ombrage. La rue Montzol n´était à cette époque qu´un petit bras de la  rivière: le bras du Moulin-Pendu. Sous l´illumination du soleil levant, le  petit palais pétillait en ce moment comme une aurore boréale. Ses rayons  incendiaient les gracieuses croisées … de moulures, irisaient les choux rampants de son joli pignon et éclairaient le minois infantile de la petite vierge de la porte. Sur l´écusson avec l´ordre du Croissant éclatait la devise  galante du Roi René, composée en honneur d´Isabelle de Lorraine: “Dévot  lui suis.”
La jeune fille grande et belle venait ce matin visiter dans ce logis sa  maîtresse la Reine de Sicile. Les deux femmes illustres –l´ancienne bergère  de Douzeny et l´ancienne princesse de Saragosse –formaient en ce moment  un complot grandiose: celui de transformer un pays envahi, divisé et appauvri en une nation libre, unie et fleurissante. Ce pays était la France.
Ce matin printanier de 1429 le soleil sortait aussi d´un grand escabeau en flammes et s´élevait comme une hostie d´or sur la lune coulante de la  Loire.
C´était un symbole. Le symbole de la vie et de l´oeuvre qu´allait  accomplir à court délai cette jeune fille grande et belle. Celle-ci en eut  soudainement l´intuition et s´arrêta avec émotion pendant quelque temps pour contempler le spectacle. Ses yeux brillants d´illuminée se mouillèrent   d´une petite larme.
Mais oui: remontant le cours de la Loire, un autre soleil d´or allait  briller bientôt sur l´horizon: celui de la Libération de la France.
Malheureusement pour la jeune fille, ce soleil surgirait lui-même d´un autre escabeau en flammes: le sinistre bûcher de Rouen, dressé pour  l´héroïne nationale par les occupants et les collaborateurs de 1431...
Justement comme l´escabeau sanglant des martyrs de la Résistance  sur lequel s´élevait à nouveau le soleil de la Liberté française ce blanc et  bleu 8 Décembre 1944...




[1] Un remarquable historien de l´art, L. Courajod, a écrit sur la valeur esthétique des paysages de la Loire la page suivante: “Le paysage de la Loire est, surtout dans  le voisinage des villes, d´un grand effet et d´un grand style à cause de sa vaste et profonde ceinture des collines et des longues lignes horizontales, des levées, des bancs de sable et des quais. Il y a, dans ses perspectives, une combinaison  harmonieuse et une note dominante de lignes horizontales qui reposent l´esprit; en  même temps, un sentiment de paresse se dégage des eaux, en apparence épuisée , qui glissent plutôt qu´elles ne roulent sur un lit sablonneux affectant les allures  d´un estuaire et donnant à l´imagination l´impression mélancolique d´une grève  abandonnée par la marée. La Loire c´est presque un fleuve italien. A la tombée de la nuit et au lever du soleil, le paysage de la Loire a vraiment une tournure  héroïque, mais d´un héroïsme sans violence, d´une largeur adoucie, amollie,  détendue.” Louis Courajod, Origines de l´Art roman et gothique, de la Renaissance  et moderne.
Les appréciations esthétiques valent spécialement pour le paysage de la Loire à  Saumur. Ardouin-Dumazet a remarqué très justement: “De toutes les cités  riveraines de la Loire, Saumur présente sur le fleuve le plus grandiose aspect. Vue  des ponts, Saumur, avec ses quais bordés de belles maisons, ses collines abruptes,  sur lesquelles se dresse le château, est véritablement superbe.” Ardouin-Dumazet, Voyage en France. 56è série. Touraine et Anjou, ch. XXIV. Berger. Levrault, Paris, 1910.
[2]Tu mangeras du pain à la sueur de ton visage”. Génèse, III, 19. 
[3]Au Palais de l´Ile d´Or”, poème par Jehanne d´Orbiac. Voir le Bulletin de la Société des Lettres, Sciences et Arts du Saumurois”, nº 86, Octobre 1938.

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